Le 19 mars 2015, au Caire, l’ancien ministre égyptien de l’intérieur Habib Al-Adli avait été acquitté en première instance dans une affaire de corruption. | STR/AFP

En Egypte, les fameux « mosalsalat » (feuilletons) du ramadan ne seront diffusés qu’à la fin de la semaine. Pourtant, le pays entier se délecte déjà des rebondissements d’une histoire digne d’un scénario de série B… mais qui n’a rien de fictif. Le « pitch » : bien qu’assigné à résidence, Habib Al-Adli, l’ancien ministre de l’intérieur (1997-2011) condamné le 15 avril à sept ans d’emprisonnement pour détournement de fonds publics, demeure introuvable.

Pour les Egyptiens, le nom d’Habib Al-Adli, 79 ans, reste associé au pouvoir de Hosni Moubarak et à la répression sanglante du soulèvement populaire de janvier 2011 qui aura finalement raison du régime. Les deux hommes ont d’ailleurs été condamnés à la prison à perpétuité le 2 juin 2012 pour le meurtre de manifestants.

L’ancien raïs a été définitivement acquitté le 2 mars 2017. Quant à son ex-ministre, après quatre années de détention et alors que d’autres procédures à son encontre s’enchevêtraient – blanchiment d’argent, profits illicites, recours à des conscrits à des fins privées… –, il a quitté les murs de la grande prison de Tora dès mars 2015, dans un contexte d’acquittements successifs des responsables de l’ancien régime.

Adepte de la torture

Mais cet adepte notoire de la torture et des disparitions forcées, honni par les défenseurs des droits de l’homme, n’en avait pas pour autant terminé avec la justice. En novembre 2016, il est assigné à résidence dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds publics au sein du ministère de l’intérieur, puis, le 15 avril 2017, il est condamné à sept ans de prison.

Début mai, Lamis Al-Hadidi, célèbre présentatrice de la chaîne de télévision CBC, faisait remarquer, dans son talk-show grand public « Hona Al-Asima » (Ici la capitale), que la peine de prison tardait à être appliquée. Pro-régime quoique parfois critique, elle s’interrogeait : « Il aurait dû être arrêté. Pourquoi la décision judiciaire n’est-elle pas appliquée ? »

Dans la foulée, les rumeurs sur une probable évasion d’Habib Al-Adli s’intensifient. Sur les réseaux sociaux, les internautes s’en donnent à cœur joie : le hashtag en arabe « Où est Al-Adli le voleur ? » se retrouve même en tête de Twitter en Egypte.

Lundi 15 mai, les agents de police viennent finalement chercher Al-Adli dans sa villa de la ville nouvelle du Six-Octobre, en périphérie du Caire, un quartier réputé pour ses malls clinquants et ses résidences opulentes. L’ancien ministre doit assister à une audience en suspension de peine, demandée par ses avocats, mais les officiers reviennent bredouilles. Le ministère de l’intérieur alerte alors le procureur du Caire.

La police complice ?

Ajoutant de la confusion à l’emballement, la défense s’embrouille. Farid Al-Dib, l’avocat d’Habib Al-Adli, assure que son client ne cherche pas à échapper à la justice, insistant sur la détérioration de son état de santé. « Je ne sais pas où il se trouve, je ne sais rien sur lui », affirme de son côté Elham Sharshar, l’épouse d’Habib Al-Adli, interrogée jeudi par le parquet. Puis, le samedi, le présentateur Amr Adib rapporte, dans son émission « Kol Youm » (Tous les jours), que, selon Farid Al-Dib, l’ancien ministre n’était en fait pas assigné à résidence…

Alors que des parlementaires demandent une réunion d’information avec le ministre de l’intérieur, Magdy Abdel Ghaffar, pour faire la lumière sur cette affaire, les internautes raillent l’agitation soudaine des autorités. Pour beaucoup, la complicité de la police dans l’évasion d’Habib Al-Adli ne fait pas de doute.

Les caricaturistes égyptiens y vont de leur crayon, comme Anwar, du quotidien Al-Masry Al-Youm, qui montre un délinquant refusant de suivre la police : « Habib Al-Adli n’est pas mieux que moi. »

Pour le site Tahrir News, Amr Al-Sawy illustre quant à lui l’affaire par un cache-cache entre un officier de police et Habib Al-Adli, qu’on devine à l’intérieur d’une limousine.

L’avocat Gamal Eid, du Réseau arabe d’information sur les droits de l’homme, relève de son côté que si les policiers semblent peiner à retrouver Habib Al-Adli, ils n’ont en revanche eu aucun mal à mettre la main sur 19 opposants politiques récemment arrêtés dans un contexte de recrudescence de la répression politique, à un an de l’élection présidentielle. « Aucun d’entre eux n’est Habib Al-Adli », ironise-t-il.