Après l’attentat, les New-Yorkais ne sont « pas surpris »
Après l’attentat, les New-Yorkais ne sont « pas surpris »
Par Marie Bourreau (New York, Nations unies, correspondante)
Mardi 31 octobre, Sayfullo Saipov, un Ouzbek de 29 ans a tué huit passants lors du premier attentat meurtrier à Manhattan depuis le 11 septembre 2001.
Trois jours après l’attentat à la camionnette-bélier qui a fauché dans sa course folle huit passants et blessé une douzaine de personnes, la West Side Highway de Manhattan a retrouvé ses habitudes. Après vingt-quatre heures de fermeture partielle, cet équivalent des voies sur berge parisiennes, renoue avec un trafic dense qui file droit vers le sud de l’île de New York et le mémorial du site du World Trade Center à quelques centaines de mètres.
Tout juste quelques discrets bouquets de fleurs, déposés en souvenir des victimes, rappellent qu’il y a quelques jours une camionnette était lancée à vive allure, sur cette route qui mène à la piste cyclable la plus fréquentée des Etats Unis, par Sayfullo Saipov, un Ouzbek de 29 ans installé aux Etats-Unis depuis 2010. Quelques troncs d’arbres éventrés racontent la violence du choc. A la craie sur le bitume, John est venu écrire un message comme une catharsis « NYC stronger » (« New York City plus forte »).
Sur son vélo de course, Pat, 42 ans, remonte la piste rouverte aux cyclistes et aux piétons le long du fleuve Hudson sous un beau soleil d’automne, le même qui avait conduit, mardi, touristes et New-Yorkais du quartier à venir profiter de cette artère aérée et sportive, alors que la ville se préparait à parader dans l’insouciance pour Halloween. Saipov a « transformé la fête en vrai cauchemar d’Halloween », décrit le quadragénaire, même si la parade a été maintenue par les autorités de la ville. « Il faut continuer à vivre, dit-il en enfourchant son engin. Le terrorisme ne doit pas gagner. Jamais. Je soutiens la Mairie d’avoir fait cela. »
Dans quelques jours, « tout cela sera oublié »
Chris était chez lui, le mardi de l’attaque, prêt à sortir retrouver des amis, déjà grimé en Dracula. Il a entendu des tirs et pensé que la fête avait déjà commencé. Il n’a même pas jeté un œil par la fenêtre de son appartement, qui surplombe au dixième étage la scène du crime. Il a compris lorsque les sirènes des forces de police et des premiers secours ont recouvert les bruits habituels du trafic incessant et que les klaxons se sont tus :
« Après Nice, Barcelone, Berlin et Stockholm, maintenant, c’est ici. C’est terrible et pourtant je ne suis pas surpris. Je n’ai pas plus peur qu’avant. Je suis vigilant en permanence. »
New York, la ville qui ne dort jamais, est meurtrie par la mort de cinq Argentins venus fêter un anniversaire, une touriste belge de 31 ans et deux jeunes Américains, mais la stupeur et la douleur qui avaient suivi les attentats du 11-Septembre ont laissé la place à l’acceptation d’un nouvel ordre où le terrorisme fait partie du quotidien.
De ces minutes d’enfer, Jocelyn ne veut se rappeler que la profonde empathie des New-Yorkais. Cette habitante du quartier de Tribeca rentrait avec ses deux enfants en bas âge. « Ils ont dû être exposés à des choses qu’ils n’auraient jamais dû vivre. Nous sommes rentrés chez nous au milieu de centaines de policiers. C’est effrayant », explique-t-elle. Mais elle assure aussitôt « ne pas avoir peur » et avoir le « sentiment de vivre dans la ville la plus sûre au monde ». Elle veut croire que dans quelques jours « tout cela sera oublié ».
Le maire de la ville, Bill de Blasio – qui joue sa réélection le 7 novembre aux élections municipales – l’a d’ailleurs martelé lors d’une conférence de presse, au lendemain de l’attentat : « New York ne fait pas face à des menaces particulières », louant par la même occasion « des New-Yorkais coriaces, qui ne vont pas se laisser abattre par les actes d’un homme lâche ».
David personnifie cette résilience new-yorkaise : « En 1993, j’étais là pour le premier attentat contre le World Trade Center. En 2001, j’étais là aussi. Et maintenant, cet attentat… » Il travaille à quelques blocs de la Freedom Tower, qui surplombe le ciel de Manhattan, à la place des tours jumelles, symbole de la résistance des Américains face à l’extrémisme. Mais seize ans après le 11-Septembre, plus rien n’est comme avant et David est un homme « en colère » et révolté par la politisation de cet événement.
« En 2017, nous avons des extrémistes dans le monde, mais aussi à la tête de notre gouvernement. Nous vivons un moment extrêmement inquiétant », s’énerve-t-il. Le président Donald Trump, comme à son habitude, s’est emparé de Twitter pour réclamer tour à tour le renvoi du suspect, Sayfullo Saipov, devant la cour militaire de Guantanamo, enclave américaine sur le sol cubain, qui accueille des combattants dits « illégaux », avant d’annoncer laisser les tribunaux fédéraux juger l’affaire.
Il a ensuite dit espérer la peine de mort pour le suspect et la fin de la loterie pour les cartes vertes – qui permet chaque année à 50 000 ressortissants étrangers d’obtenir un permis de travail – et dont M. Saipov avait bénéficié en 2010, à son arrivée aux Etats-Unis.
Sur les bords de l’Hudson, des joggeurs s’entraînent à nouveau pour le marathon qui doit se tenir dimanche 5 novembre ; 50 000 coureurs et deux millions et demi de spectateurs sont attendus dans les rues de la ville. Les autorités ont annoncé que la sécurité serait renforcée. Des snipers se tiendront, discrets, le long du parcours. Les New-Yorkais, eux, feront comme si de rien n’était.