Ligue 1 : Saint-Etienne-Lyon, domination derby
Ligue 1 : Saint-Etienne-Lyon, domination derby
Par Erwan Le Duc
La rencontre entre les deux clubs a donné lieu à des scènes de chaos, sur le terrain comme dans les tribunes.
Nabil Fékir montre son maillot dans le Chaudron stéphanois, le 5 novembre. / PHILIPPE DESMAZES / AFP
En football, dominer n’est pas gagner. Mais est-ce que gagner, c’est forcément dominer ? Et même écraser, humilier, chambrer, remuer le couteau dans la plaie tu l’as bien mérité ? On aurait aimé en discuter avec Stéphane Ruffier et Nabil Fékir, au lendemain d’un derby rhodanien en forme de séance sadomaso.
Un derby débuté par un coïtus interruptus, avec une première suspension des ébats au bout d’une minute à peine, pour cause de fumigènes. Un épais brouillard artificiel qui cachait d’une part un tifo géant affichant littéralement « La Haine » sur toute une tribune, mais qui troublait aussi la Goal Line Technology, assistance arbitrale devenue asservissement pour tous. Paradoxale, la suite de ce match étrange ne le fut pas moins. Romain Hamouma loupa l’ouverture du score, puis se blessa en frappant un corner qui termina dans les pieds adverses, offrant ainsi sur un plateau le premier but aux Gones au bout d’une action surréaliste.
Un Chaudron qui débordait de partout
Des Gones qui déroulaient ensuite, marquant but sur but face à des Verts marécageux, jusqu’à ce désormais fameux cinquième et dernier acte, signé Nabil Fékir, homme du match dans toute sa splendeur. Interrompu dans son entame, ce derby le fut aussi dans son final, cette fois à cause d’un envahissement de terrain de supporteurs stéphanois excités par les cris de jouissance du capitaine lyonnais, qui avait décidé d’ajouter l’agréable à l’utile en venant les chambrer pour fêter le 5-0. Au milieu des forces de l’ordre toutes matraques dehors, Stéphane Ruffier en restait interdit sur la pelouse, oubliant de rejoindre ses camarades aux vestiaires.
Stéphane Ruffier au milieu des matraques, le 5 novembre à Saint-Etienne. / PHILIPPE DESMAZES / AFP
Le regard dans le vide, son ballon fermement calé sous son bras, comme un gosse qui refuse de lâcher son jouet, ce ballon qui lui procurait tout et le plongeait subitement dans le rien, Ruffier pauvre hère semblait se demander ce qu’il avait bien pu se passer, ce dimanche soir dans ce Chaudron qui débordait de partout. Dans les yeux de Stéphane, on pouvait facilement imaginer les larmes qui montaient, qui tentaient elles aussi de percer la muraille du portier capitaine des Verts, de faire trembler ses filets, d’éteindre de leur irrépressible torrent le chaos qui déferlait autour de lui.
Du bon usage du chambrage en milieu footballistique
Pendant que Ruffier subissait, la télévision montrait le plan fixe d’une porte de vestiaire, dans un couloir sans âme, on aurait dit une installation d’art contemporain, puis une autre porte, close elle aussi, derrière laquelle se réunissaient différents corps, arbitral, préfectoral, policier et même médiatique. « Est-ce qu’on va rejouer ? », demandait Laurent Paganelli à tout le monde, rengaine enfantine et ontologique, pendant que d’autres observateurs dissertaient déjà sur le bon usage du chambrage en milieu footballistique. « Est-ce que je m’excuse ? Non, je ne regrette pas le geste », répondait le père fouettard Fékir, ne voyant aucune « méchanceté » dans sa parade (plutôt anodine par ailleurs puisqu’il a simplement montré son maillot aux supporteurs stéphanois), et pas mécontent d’avoir « mis un peu de piment » dans le Chaudron.
Au micro de Canal+, Eric Carrière, visiblement troublé, s’interrogeait sur le besoin d’humilier l’adversaire qu’il observait dans le football contemporain. L’ancien meneur de jeu pourra toujours se rappeler les paroles du neurobiologiste Henri Laborit dans le film Mon oncle d’Amérique, d’Alain Resnais : « Tant que l’on n’aura pas diffusé très largement à travers les hommes de cette planète, la façon dont fonctionne leur cerveau, la façon dont ils l’utilisent, et tant qu’on n’aura pas dit que jusqu’ici c’est toujours pour dominer l’autre, il y a peu de chances qu’il y ait quelque chose qui change. »
Alain Resnais. "Mon oncle d'Amérique"
Durée : 03:53