La députée (La France insoumise) de Paris, Danièle Obono, à l’Assemblée nationale le 24 octobre. / ERIC FEFERBERG / AFP

Il y a quelque chose de sacré à La France insoumise (LFI) : le programme. L’Avenir en commun, c’est son nom, est par ailleurs complété par une série de 41 livrets thématiques. L’un d’entre eux est consacré à la laïcité. C’est une véritable bible à laquelle se réfèrent les « insoumis » lorsque l’on évoque le sujet avec eux.

Et depuis quelques semaines, ils ont dû s’y référer plus souvent qu’auparavant : leur mouvement a en effet été attaqué, notamment par l’ancien premier ministre Manuel Valls et ses soutiens, sur la sincérité de son identité laïque. En ligne de mire : la députée LFI de Paris, Danièle Obono.

M. Valls a notamment qualifié LFI d’« islamo-gauchiste », l’accusant de faire des concessions à l’islam radical. Il a également reproché au mouvement de Jean-Luc Mélenchon une proximité intellectuelle avec le Parti des indigènes de la République (PIR) d’Houria Bouteldja, une formation identitaire et postcoloniale dont le discours ­racialiste suscite de plus en plus le malaise à gauche. Les déclarations, dimanche 5 novembre, de Danièle Obono qualifiant Mme Bouteldja de « camarade », n’ont fait qu’accentuer ce trouble. Qu’en est-il vraiment ?

Dans leur opus de vingt pages, les « insoumis » sont pourtant clairs. La laïcité est un outil d’émancipation, « un pilier de la République une et indivisible », « porteur de droits inaliénables : la liberté de conscience et de culte, l’égalité des citoyen·ne·s, (…) la séparation du politique et du religieux ». Une position en droite ligne avec celle défendue par M. Mélenchon, membre du Grand Orient de France et militant laïc de longue date.

« Certaines contradictions ne sont pas tranchées »

« Notre position officielle, c’est le livret thématique. LFI est le seul mouvement avec un programme ambitieux sur la question laïque », insiste Manuel Bompard, homme fort de la formation. Il reconnaît néanmoins : « Nous ne sommes pas un mouvement dogmatique. Il y a des divergences sur certains points. »

Charlotte Girard, coresponsable du programme, ne dit pas autre chose. Si elle rappelle que LFI défend « une vision classique de la laïcité, sans aucune concession », elle admet qu’il existe « des définitions différentes dans le mouvement, même s’il n’y a pas de dichotomie ». « Il va falloir que l’on s’en parle. Certaines contradictions ne sont pas tranchées. Il faut prendre le temps qu’il faut pour les résoudre. Et il ne faudra pas que cela soit de manière autoritaire », continue-t-elle.

« Il faudra s’entendre. On doit avoir une cohérence d’ensemble tout en laissant respirer des courants qui ne sont pas identiques sur tout », complète Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis. « Il n’y a pas assez de débats en interne sur cette question. On doit le faire pour diffuser notre vision dans la société », abonde Danielle Simonnet, conseillère de Paris. Cette dernière est tenante d’une laïcité intransigeante, préfère parler de « racisme anti-musulman » plutôt que « d’islamophobie » et veut « provoquer un débat national » autour du spectacle inspiré du livre de Charb : Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Les Echappées, 2015).

Cette envie de débats est unanime chez tous les dirigeants contactés. La convention de LFI, qui se réunira les 25 et 26 novembre à Clermont-Ferrand, et qui doit définir les « campagnes prioritaires », pourrait être l’occasion idéale.

Trouble

Les « divergences » au sujet de la laïcité sont souvent résumées à grands traits par l’histoire militante des uns et des autres. D’un côté, il y aurait les « laïcs Troisième République » venus du Parti de gauche (M. Mélenchon, Eric Coquerel, Alexis Corbière, Danièle Simonnet). De l’autre, on trouverait les tenants d’une laïcité plus « ouverte » ou « accommodante », comme Clémentine Autain et Danièle Obono, qui ne sont pas issues de cette matrice politique. Une vision que la seconde juge caricaturale. « La réalité est bien plus large. Il y a un accord global sur le programme et le livret. On doit partir de ce qui nous rassemble, la défense de la loi de 1905 et son application sur l’ensemble du territoire [LFI est pour l’abolition du Concordat] », estime la députée de Paris.

Danièle Obono est souvent accusée par ses adversaires politiques de compromissions avec l’islam politique. Ils s’appuient notamment sur certains tweets de l’élue quand elle a assisté aux dix ans du PIR, en 2015 ; sur son opposition à la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école ou encore sur un texte de 2015 où elle émettait des réserves sur la manifestation nationale après les attentats contre Charlie Hebdo.

L’élue déroute jusque dans les rangs de LFI. Elle a défendu, dimanche, sa « camarade » Houria Bouteldja, présidente du PIR : « Je respecte la militante antiraciste. C’est dans le mouvement antiraciste que je l’ai connue, c’est dans ces luttes-là que l’on s’est battues », a-t-elle déclaré au micro de Radio J.

Des propos qu’elle a dû rectifier le lendemain, sur Facebook : « Comme je l’ai toujours dit, écrit et agi en ce sens, je suis une militante politique, féministe et antiraciste. (…) Mon seul programme est celui de LFI, L’Avenir en commun. J’en ai coordonné les livrets thématiques. Je souscris à l’ensemble du programme sans exclusive. C’est celui sur lequel j’ai été élue députée. Je ne suis pas et n’ai jamais été membre du PIR. Je suis en profond désaccord avec leurs thèses », écrit-elle notamment.

Une forte polémique

Cette sortie arrive quelques semaines après une autre polémique lancée par la jeune députée. Lors d’une émission sur BFMTV, le 1er octobre, elle avait mis en doute le concept de « radicalisation ».

Interrogée sur la possibilité de renvoyer un chauffeur de bus qui refuserait de prendre le volant à la suite d’une femme, elle avait ajouté : « Est-ce que je crois que quelqu’un qui refuse de conduire un bus après une femme doit être mis sur écoute, perquisitionné, mis en centre de rétention ? Non ! » Une forte polémique s’en était suivie et Mme Obono avait dû s’expliquer dans un long texte très argumenté publié le 15 octobre sur son blog hébergé par Mediapart.

En « off », certains hauts dirigeants très attachés à la laïcité sont de plus en plus agacés par les sorties de Danièle Obono. Ses défenseurs rappellent néanmoins que « les livrets thématiques, dont celui sur la laïcité, ont été coordonnés par Danièle Obono et Laurent Levard » et qu’elle a « beaucoup évolué sur ces questions ».

D’autres, en revanche, sont plus sévères, comme Djordje Kuzmanovic, le « M. International » de LFI, ou encore le « politologue insoumis » Thomas Guénolé. Ce dernier a écrit sur Twitter que « les propos de Danièle Obono sur Houria Bouteldja n’ont /aucun/ rapport avec le projet de LFI. Donc, ils n’engagent qu’elle. »

« Réalité du terrain »

Autre élément fondamental pour comprendre ces nuances autour de la laïcité : « La réalité du terrain. » LFI a réalisé de très bons scores dans les quartiers populaires – six députés sur les dix-sept que compte le groupe ont été élus en banlieue parisienne –, où la question du voile peut être prégnante.

Eric Coquerel, député de Seine-Saint-Denis, avoue ainsi avoir évolué depuis la campagne des législatives. « On a très longtemps considéré le voile comme un signe d’une vision intégriste d’une religion, un signe d’inégalité hommes-femmes. On avait raison, mais dans les quartiers, beaucoup de femmes voilées le portent comme un signe culturel, sans la corrélation qu’on y mettait il y a quelques années, explique le parlementaire. Le voile n’est pas forcément synonyme d’intégrisme ou d’asservissement de la femme par l’homme. » Sur cette question fondamentale pour eux, les « insoumis » ne pourront pas faire l’économie d’un large débat.