L’avis du « Monde » – à voir

Ce sont des questions sans cesse posées à l’industrie cinématographique : comment faire pour contrecarrer son penchant naturel au jeunisme ? Et y a-t-il encore de vrais rôles pour les actrices, passé un certain âge ? Si le cinéma américain semble être à ce niveau totalement sinistré, depuis quelque temps, une tendance se met en place dans le cinéma français, à travers l’émergence d’une sorte de genre que l’on pourrait appeler « film de la crise de la cinquantaine » ou « film du retour d’âge » (nom fleuri que l’on donne à la ménopause). Leur point commun : un traitement frontal de la maturité féminine, souvent porté par des actrices-stars qui assument enfin leur âge dans un contexte de frilosité et de déni généralisés inhérents à leur profession. On pourrait ainsi évoquer L’Avenir (2016), de Mia Hansen-Love, où une professeure de philosophie (Isabelle Huppert) quittée par son mari voyait sa vie se déliter sous ses yeux et finissait par embrasser ce naufrage. Cette année, Aurore (2017), de Blandine Lenoir, traitait littéralement du retour d’âge, tremblement de terre pour son héroïne incarnée par Agnès Jaoui.

C’est sur un canevas étonnamment similaire mais légèrement plus métaphorique qu’est construit Jalouse, le dernier film des frères Foenkinos. Nathalie Pêcheux (Karin Viard), prof de lettres divorcée, se voit du jour au lendemain métamorphosée en jalouse compulsive. Collègues, amis, ex-mari : cette jalousie n’épargne personne, jusqu’à sa propre fille (tabou du rapport mère-fille qu’ose aborder le film). Si son médecin généraliste lui explique qu’elle est peut-être en période de « transit » vers la ménopause, l’écriture des Foenkinos tient à ne jamais avancer de raison précise à cette crise soudaine. Cela peut être le retour d’âge, une dépression passagère ou même un mauvais sort dont elle aurait été victime. Le film aime à subtilement travailler ses aspects de fable, et Karin Viard de se donner des airs de sorcière qui siéent parfaitement à son identité d’actrice.

Lire l’entretien avec Karin Viard (« La Matinale ») : « J’ai passé ma jeunesse en maison de retraite »

Sourde inquiétude

C’est notamment à travers un événement assez brutal que le film révèle la capacité de nuisance de son héroïne : d’abord source de comédie, cette jalousie devient subitement handicapante lorsqu’elle contamine jusqu’à l’inconscient et met en danger la vie de ses proches. Nathalie Pêcheux n’est plus maîtresse de ses actes qui lui échappent comme on jetterait par mégarde des maléfices autour de soi. Préférant la métaphore à la littéralité, l’honnêteté du film consiste à poser des problèmes sans jamais vraiment les résoudre, instillant par là une sourde inquiétude qui n’est jamais démentie.

Peu à peu, Nathalie reconquiert la confiance de ses proches, mais cette bataille gagnée contre sa propre jalousie ne prend jamais les allures d’une apothéose. Les Foenkinos ne cèdent pas à la résolution miraculeuse : leur héroïne reconquiert une forme de sérénité mais celle-ci est un chantier à reprendre sans cesse. Si Nathalie travaille à aller mieux, ses proches sont également invités à comprendre et à prendre soin de leur sorcière bien-aimée.

JALOUSE - Bande-annonce Officielle - Karin Viard / David et Stéphane Foenkinos (2017)
Durée : 01:47

Film français de David et Stéphane Foenkinos. Avec Karin Viard, Anne Dorval, Thibault de Montalembert, Dara Tombroff (1 h 42). Sur le Web : www.facebook.com/hashtag/jalouselefilm?, twitter.com/hashtag/JalouseLeFilm et salles.studiocanal.fr