Lors d’une corrida dans les arènes de Nîmes, en 2014. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Nom de code : « les grands combats ». Jeudi 9 novembre, la Société protectrice des animaux (SPA) a annoncé qu’elle lançait une vaste série d’actions en justice pour défendre la condition animale. Chasse à courre, corrida, conditions d’abattage, animaux de cirques ou encore expérimentation : l’association veut attaquer toutes les « pratiques barbares à l’encontre des animaux » afin d’ouvrir un débat dans l’opinion publique et parvenir à une évolution de la législation.

L’ONG a déjà lancé l’offensive. Mardi, elle a déposé une plainte générale contre la corrida, devant le procureur de Paris, pour « sévices graves et acte de cruauté ». Ce délit inscrit dans le code pénal est sanctionné de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, à l’exception « des courses de taureaux et des combats de coqs lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ». En 2012, le Conseil constitutionnel avait jugé qu’organiser des corridas dans certaines régions françaises était conforme à la Constitution, et ne constituait pas une rupture d’égalité devant la loi, rejetant le recours d’associations anti-tauromachie.

Cette fois, la SPA veut attaquer l’interprétation du texte. « Une corrida n’est pas une course de taureaux, c’est une mise à mort précédée d’une torture, lâche son secrétaire général Eric Gaftarnik, avocat au barreau de Paris. Je veux demander au juge d’interpréter cette exception de manière restrictive. » L’association, qui travaille sur ce dossier avec la Fédération des luttes pour l’abolition des corridas, veut aussi procéder par voie de citation directe pour convoquer devant les tribunaux les organisateurs de corridas « dès que l’occasion se présentera ».

Etiquetage obligatoire

Profitant de l’émoi suscité par l’abattage d’un cerf lors d’une chasse à courre dans l’Oise, la SPA a également déposé une plainte au tribunal de grande instance de Compiègne, le 30 octobre, pour « sévices graves et acte de cruauté ». Elle vise le maître d’équipage, la Société de vénerie qui a encadré cette opération et « toute autre personne ou toute autorité ayant permis ou facilité ce massacre ».

Dans les semaines qui viennent, la plus vieille association de protection animale compte en outre s’attaquer à la présence d’animaux sauvages dans les cirques, un sujet qui attise les tensions depuis cet été, à la production ou à la distribution de fourrure, à l’expérimentation animale et aux conditions d’abattage afin qu’« un étiquetage obligatoire indique si les animaux ont été tués avec ou sans étourdissement ». Des actions sont enfin envisagées contre le gazage de certains animaux, leurs conditions d’élevage ou encore leur vente en animalerie.

Changer la législation

« On veut créer une dynamique, afin de faire vivre le débat parmi les citoyens et exercer une pression sur les pouvoirs publics, détaille Eric Gaftarnik. L’action judiciaire, associée à la mobilisation de l’opinion publique, est un bon moyen pour y parvenir car elle permet de faire évoluer la jurisprudence, en interprétant plus strictement les textes, et ensuite la législation. » Pour l’avocat, le moment est aujourd’hui arrivé où « la population est prête pour que les choses changent ».

De fait, depuis deux ans, l’attente des Français est forte, alors que se succèdent les scandales de maltraitance dans des abattoirs ou des élevages et que foisonnent les livres d’intellectuels en faveur d’une société plus respectueuse des droits des animaux. « Pourtant, la condition animale ne s’est pas vraiment améliorée, à l’exception de l’évolution du code civil [qui a reconnu les animaux comme des êtres sensibles en 2015], et la France reste en retard par rapport à de nombreux voisins européens. La classe politique ne s’est pas suffisamment emparée de cette question. Les propositions de loi ou amendements ne suffisent plus », juge Eric Gaftarnik.

Il en veut pour preuve la proposition de loi déposée par le député Olivier Falorni, qui prévoyait de rendre obligatoires les caméras dans les abattoirs dès 2018. Adoptée par les députés en première lecture, elle est aujourd’hui en suspens faute d’avoir encore été inscrite à l’ordre du jour du Sénat. « Nous avons usé depuis toujours de tous les moyens traditionnels d’actions que sont les pétitions, les manifestations, le soutien à des associations militantes, des interpellations directes des politiques et nous n’avons finalement enregistré aucun résultat tangible, abonde Natacha Harry, la présidente de la SPA. L’animal est encore trop souvent utilisé comme un moyen, un outil de divertissements de toutes sortes au détriment de sa santé et de sa sensibilité. »

« Les mentalités finissent par évoluer »

S’il rejoint ce constat, Jean-Marc Neumann, juriste au barreau de Strasbourg et vice-président de la Fondation Droit animal, éthique et sciences, n’est en revanche pas convaincu que la solution réside dans les juges. « Ils ne vont pas créer de nouvelles règles pour défendre les animaux, d’autant qu’ils n’ont pas, le plus souvent, de sensibilité particulière ni de formation à cette problématique, assure-t-il. Même l’évolution du code civil n’a pas débouché sur des avancées de la jurisprudence. Les dossiers concernant les humains passeront toujours devant. »

Une position que ne partage pas Lucille Boisseau-Sowinski, maître de conférences en droit et cocréatrice d’un diplôme de droit animalier à l’université de Limoges, qui remarque une « profusion de nouvelles formations sur le sujet, de colloques ou de projets de recherche ». « Beaucoup d’aspects du droit ont évolué grâce à la jurisprudence, relève-t-elle. Même si les affaires sont perdues par les défenseurs des animaux, elles permettent au juge de s’interroger, et entraînent des débats et de nouveaux argumentaires. C’est ainsi que les mentalités finissent par évoluer. »