L’OTAN doute de sa capacité de réaction en cas d’offensive russe
L’OTAN doute de sa capacité de réaction en cas d’offensive russe
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
La guerre dans l’est de l’Ukraine a fait prendre conscience à l’Alliance atlantique de ses lacunes militaires et logistiques, qui la rendraient moins efficace que la Russie.
Les drapeaux de l’OTAN et des Etats-Unis sur la base militaire de Siauliai, en Lituanie, le 27 avril 2016. / INTS KALNINS / REUTERS
Plus d’hommes, plus de moyens mais moins d’efficacité tactique : face à une éventuelle attaque déclenchée par la Russie, l’OTAN aurait des difficultés à riposter. Il convient donc de réformer son fonctionnement et sa structure de commandement : c’est sur ce thème que les ministres de la défense de l’Alliance atlantique, réunis mercredi 8 et jeudi 9 novembre à Bruxelles, devaient plancher. Pour fixer les grandes lignes de cette refonte, qui devrait être approuvée au début de 2019.
Retour à la guerre froide ? Pas vraiment, assurent les dirigeants de l’organisation. Ils évoquent plutôt une « redynamisation », une « relance ». Jens Stoltenberg, le secrétaire général, parle d’une « adaptation au XXIe siècle et à un environnement changeant ». C’est, en réalité, l’annexion de la Crimée et le déclenchement dans la foulée d’une guerre dans l’est de l’Ukraine, en 2014, qui ont déclenché cette prise de conscience. L’épisode a totalement surpris les 28 alliés – rejoints depuis par le Monténégro : ils ne croyaient pas à un déploiement aussi rapide des forces russes et avaient mésestimé leur effort de modernisation, commencé en 2008.
Avant de lancer les réformes internes, il fallait identifier les lacunes. Et elles sont nombreuses, à en croire un rapport « secret » qui a fuité dans la presse allemande le 20 octobre. Pas un hasard, sans doute : Berlin figure parmi les capitales les plus favorables au renforcement d’une structure de commandement qui a fondu depuis la chute du Mur. Elle comptait 23 000 soldats dans les années 1980, pour 6 800 aujourd’hui au sein des quartiers généraux militaires de Mons, en Belgique, et Brunssum, aux Pays-Bas.
Retour aux fonctions premières
Même si toutes les délégations refusent officiellement de le commenter, ce « Rapport de progrès sur la dissuasion renforcée et la posture de défense de l’Alliance », rédigé par des conseillers stratégiques, est jugé déterminant. Et sa divulgation a visé à accentuer la pression sur certains pays membres, qui espéraient encore tergiverser face à un projet d’augmentation des effectifs et des budgets. La France adopte, dans ce débat, une position médiane : oui à une adaptation, mais « lucide » et « tenable ».
Avant la fin de la guerre froide, l’OTAN comptait 33 commandements. Il en subsiste 7 aujourd’hui, résultat d’une opération radicale d’amaigrissement, inspirée par l’idée qu’il fallait toucher « les dividendes de la paix » et, ensuite, privilégier de nouveaux domaines d’action pour l’Alliance. A savoir les opérations menées hors de son rayon d’action traditionnel (Kosovo, Afghanistan, Libye…) ou de « sécurité coopérative » et de « renforcement des capacités » de pays tiers (avec essentiellement des missions de formation dans une série de pays).
La guerre non déclarée menée par la Russie en Ukraine a changé la donne, induisant un retour aux fonctions premières de l’organisation : la défense collective de ses membres et la dissuasion. Sur l’insistance de la Pologne et des pays Baltes, une « présence renforcée » a été assurée aux frontières orientales, avec le déploiement de groupes de combat comptant chacun un millier de soldats. Et une réflexion a surtout été lancée sur la réelle efficacité de cette Alliance qui compte quatre fois plus de soldats et trois fois plus de chars et d’avions que l’armée russe, mais semble tellement lourde qu’elle ne pourrait peut-être pas riposter à une nouvelle offensive de Moscou.
C’est, en tout cas, ce que pensent les auteurs du rapport dévoilé récemment. Ils pointent, en cas de « MJO + » (« Major Joint Opération + », un conflit majeur), un nombre insuffisant d’officiers d’état-major, d’importantes lacunes dans le domaine logistique (des trains capables d’acheminer rapidement du matériel, des routes et des ponts permettant le passage de chars de combat, etc.) ou des lenteurs bureaucratiques qui retarderaient un déploiement. Le document évoque notamment la récente mésaventure d’un escadron américain qui a dû patienter près de deux heures à la frontière entre la Roumanie et la Bulgarie (deux pays membres) pour faire valider ses passeports et son armement.
Occuper le cyberespace
Le fonctionnement de l’OTAN a été « atrophié » depuis la fin de la guerre froide, jugent encore les experts. La modernisation envisagée par les ministres devrait dès lors privilégier une série de pistes pratiques, dont un « Schengen militaire », mis au point avec l’Union européenne, qui faciliterait l’acheminement des troupes et du matériel. Les commandements devraient, quant à eux, être renforcés et deux nouvelles structures créées. L’une dite « arrière », chargée spécifiquement des problèmes de mobilité et de logistique pour accroître la capacité de réactivité des troupes. Actuellement, même la Force de réaction rapide (NRF), une unité multinationale constituée en 2004, ne serait pas totalement à l’abri des lenteurs.
L’autre nouveau commandement viserait à assurer la sécurité, la bonne communication et l’efficacité de la chaîne d’approvisionnement dans l’Atlantique, entre l’Europe et les Etats-Unis. Une zone jugée « essentielle », où l’activité maritime russe est très importante. Dernière priorité affichée par M. Stoltenberg : la cybersécurité. Le cyberespace est désormais élevé au rang de domaine d’activité de l’OTAN, au même titre que le terrestre, le maritime et l’aérien. Il ne s’agirait pas, pour l’organisation, de se doter de capacités offensives, mais d’assurer une coopération maximale entre les pays membres, en liaison avec l’UE.