A Oxford, l’amertume des étudiants de Tariq Ramadan
A Oxford, l’amertume des étudiants de Tariq Ramadan
La mise en congés de l’islamologue par la faculté où il enseignait est diversement perçue, raconte Noé Michalon, lui-même étudiant dans cette université britannique.
L’islamologue suisse Tariq Ramadan, en mars 2016. / MEHDI FEDOUACH / AFP
Chroniques d’Oxford. Noé Michalon, parti suivre un master d’études africaines à Oxford, raconte comment la mise en congés du professeur d’études islamiques contemporaines, accusé de viols, a été accueillie par les étudiants de son établissement.
Je n’y ai pas échappé, nombreux ont été dans mon entourage français ceux qui m’ont demandé comment était perçue « l’affaire Ramadan » à Oxford. Mais tout dépend à qui l’on en parle.
- « Vous connaissez Tariq Ramadan ? »
- « C’est une fête musulmane, non ? »
Quand je lance la question à la cantonade au dîner de mon college* d’Oxford, rares sont mes camarades qui ont entendu parler de la polémique ou qui connaissent le personnage. Très médiatisée en France, l’affaire n’a rien eu d’une tornade ici, dans une université de plus de 20 000 étudiants répartis dans différents colleges, et habitués à recevoir les plus grands noms académiques.
Mais dans le college voisin de Saint Antony’s, où enseignait jusqu’à ce mardi 7 novembre Tariq Ramadan, elle a eu un certain retentissement. Et il se trouve que j’y ai la plupart de mes cours et de mes amis, dont certains sont directement impliqués par les répercussions du scandale.
« J’ai été choquée d’apprendre l’affaire par la presse. Je suis soulagée d’apprendre que le college a enfin pris des dispositions, ils auraient dû communiquer davantage avec les étudiants… » déplore, sous un crachin nocturne et cigarette aux doigts, une amie sud-africaine. Comme la plupart des autres étudiants qui ont accepté de me confier leur sentiment, préfère n’être pas citée sur ce sujet délicat.
Article dans le journal étudiant et pétition
Comme elle, de nombreux étudiants déplorent d’avoir appris la mise en cause de l’enseignant vendredi 3 novembre, par le journal étudiant Cherwel, dans un article titré « Un professeur accusé de viol continue d’enseigner », et dénonçant la passivité de l’établissement. Il révélait que le college avait finalement accepté organiser une réunion d’information sur ce sujet le 31 octobre, à la demande d’étudiants ayant appris par la presse étrangère, notamment française, le dépôt de plaintes visant Tariq Ramadan. A la suite de la publication de cet article, une pétition a été lancée, suivie de la mise en congés de l’enseignant.
D’autres élèves de de Saint Antony’s partagent l’amertume de mon amie. Depuis sa chambre surchauffée en ce glacial début de mois de novembre, Sofiane, camarade de classe marocain, me raconte les conversations « tendues » entre les étudiants du plus cosmopolite des colleges oxoniens, où les étudiants se retrouvent souvent par communautés d’origine pour discuter. « C’est une question crispante et très circonscrite : quand on aborde le sujet avec des étudiants du programme d’études orientales venus d’autres pays, on sent qu’ils ne veulent en parler qu’entre eux, qu’il faut être un peu introduit auprès d’eux. Sinon, en dehors, les gens ne connaissent pas trop Tariq Ramadan », m’explique celui qui a vu « toutes ses vidéos sur YouTube », plus fasciné par sa rhétorique que son idéologie. « Je me souviens d’une discussion entre étudiants qui a dégénéré, certains sont partis, furieux d’entendre d’autres ne parler que du manque de crédibilité de Henda Ayari [l’une de ses accusatrices]. La résidence ne s’est pas encore totalement remise de cette soirée. »
Entre la bibliothèque et la cantine, Mbalenhle Matandela, étudiante sud-africaine et militante féministe, en veut à son université d’avoir tardé à réagir : « Il est déjà difficile pour les femmes de témoigner de ce genre d’affaires. L’université a mis tellement de temps à réagir, la prochaine fois que cela arrivera, la sécurité des étudiants sera-t-elle encore menacée ? »
Peu connu de la plupart des étudiants anglophones d’Oxford, le professeur en études islamiques contemporaines l’est beaucoup plus parmi leurs camarades des pays arabes, notamment francophones. « Il est même l’une des raisons qui ont poussé certains à étudier ici », m’explique un étudiant du même département. Pour lui, la mise en congé de l’enseignant a un impact important : Tariq Ramadan était son conseiller académique, son congé l’oblige à changer de sujet de recherche.
Malgré le choc au sein de la faculté, il n’a pas de grief envers son université. « Je trouve au contraire qu’elle a plutôt bien réagi. Le college a tout fait pour que les étudiants supervisés soient mis au courant au plus vite. Dès le lendemain de l’affaire, j’étais dans le bureau du directeur pour en parler. » Depuis le bar du college, ce sympathisant de certaines thèses de Ramadan m’explique sa colère contre ce qui lui apparaît comme une surmédiatisation de l’affaire par la presse française.
Oxford et Cambridge dans les « Paradise Papers », l’autre affaire
« Dans cette affaire, ici, Ramadan est vu avant tout comme un professeur d’université. En France, c’est comme si c’est l’ islam qui était mis en cause », dénonce-t-il. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si plusieurs étudiants de Tariq Ramadan n’ont pas voulu répondre à mes questions. « Et ce n’étaient pas des fans inconditionnels de Tariq Ramadan, loin de là », insiste une chercheuse française.
Elle-même se dit tout autant agacée par « l’instrumentalisation de l’affaire en France par Valls, Fourest et compagnie pour décrédibiliser le discours de Ramadan » que par ceux qui défendent l’enseignant en tentant de décrédibiliser ses victimes.
Depuis mercredi, il semblerait cependant que l’attention soit désormais portée sur une autre affaire : Oxford et sa rivale Cambridge ont été citées dans les derniers Paradise Papers, pour des placements financiers douteux. Etrange et fascinante période, pour étudier ici.
*Pour mieux comprendre le concept de « college », je décrivais ce nébuleux système dans ma première chronique.