Dans la Mercedes Arena, samedi 11 novembre, à Shanghaï. / ALY SONG / REUTERS

Passé minuit, la musique s’arrête dans la Mercedes Arena de Shanghaï, choisie par Alibaba pour accueillir son gala du « jour des célibataires », grande fête prétexte aux soldes les plus fous. Sur l’écran géant qui trône au milieu de la scène, le décompte commence : les millions s’accumulent à une vitesse hypnotique… le milliard d’euros est atteint en deux minutes. Ce sont les ventes enregistrées par les plates-formes d’Alibaba, principalement Tmall (d’entreprises à clients) et Taobao (de particuliers à particuliers).

En 2016, la fête des célibataires – représentés symboliquement par les quatre « 1 » du 11 novembre : 11.11 –, les ventes sur les plates-formes du leader chinois du commerce en ligne avaient atteint l’équivalent de 16,38 milliards d’euros en vingt-quatre heures. Record battu dès la mi-journée ce samedi.

De quoi confirmer une année de croissance insolente pour Alibaba. L’entreprise, qui domine le commerce en ligne en Chine, a vu sa valeur doubler à la bourse de Wall Street, au point de détrôner un instant Amazon pour le titre du groupe d’e-commerce le plus cher du monde, fin octobre. Mais ces résultats ne sauraient satisfaire Alibaba, qui voit plus loin que les 730 millions d’internautes chinois.

Objectif : 2 milliards de clients d’ici vingt ans

L’année dernière, Jack Ma, le patron d’Alibaba, avait fixé l’objectif de servir 2 milliards de clients dans le monde d’ici vingt ans, soit en 2036. C’est Michael Evans, débauché en 2015 chez Goldman Sachs qui a la lourde de tâche de développer Alibaba à l’international. « Le jour des célibataires est une opportunité fantastique pour faire connaître un peu mieux chaque année ce qu’on fait, en Chine et ailleurs », affirme-t-il.

De fait, le 11.11 est bien une gigantesque opération de communication à destination du monde entier. En témoigne la soirée de gala où se sont produits Pharrel Williams, accompagné au piano du célèbre soliste chinois, Lang Lang, ou la chanteuse de pop anglaise Jessie J, ou encore Nicole Kidman, qui annonça un court-métrage incongru où Jack Ma, le patron d’Alibaba, jouait un maître de kung-fu terrassant tour à tour une ribambelle de stars des arts martiaux, en finissant par Jet Li… Et pour s’assurer que le monde n’en perdit pas une goutte, Alibaba avait invité plusieurs centaines de journalistes étrangers et chinois.

Jack Ma, président d’Alibaba Group, et l’actrice Nicole Kidman à l’occasion du « jour des célibataires »,  le 11 novembre 2017. / ALY SONG / REUTERS

Pourtant, après huit éditions, l’événement, qui rime avec publicité massive et livraisons en retard, perd un peu de son attrait en Chine. D’après une étude de l’agence de marketing AdMaster, 65 % des personnes interrogées ont annoncé vouloir participer à l’événement cette année, contre 84 % des sondés en 2015. Des chiffres qui reflètent la montée en gamme de la consommation en Chine : alors que le jour des célibataires est connu pour des offres promotionnelles agressives, de plus en plus de Chinois recherchent d’avantage la qualité des produits et des services, quitte à y mettre le prix.

Des marques internationales pour faire face à la concurrence

Une transition qui fait plutôt les affaires du principal concurrent d’Alibaba, JD. com : la plate-forme, numéro 2 du commerce en ligne en Chine, grignote des parts de marché à Alibaba. Avec un avantage de taille : la maîtrise de sa logistique. Là où les plates-formes d’Alibaba mettent en relation vendeurs et clients, JD. com fonctionne d’avantage comme un supermarché en ligne : l’entreprise achète des produits, les stocke dans ses propres entrepôts et les livre elle-même grâce à une armée de livreurs, qui assure aussi la relation client. Son « double 11 » à elle dure onze jours, du 1er au 11 novembre, permettant des opérations plus fluides. A midi, ce samedi, l’entreprise affichait 111 milliards de yuans de ventes depuis le début de l’événement.

Face à cette concurrence sur le marché chinois, Alibaba joue sur deux tableaux, explique Michael Evans : d’un côté, attirer plus de marques internationales pour répondre aux goûts de la classe moyenne chinoise. Une tâche loin d’être évidente, tant la relation d’Alibaba avec les grandes marques est entachée par la réputation de Taobao d’être un marché aux imitations. Mais les équipes d’Alibaba installées à l’étranger y travaillent. De plus en plus de marques franchissent le pas : « L’année dernière, on avait environ 100 000 vendeurs qui participaient à l’opération officielle du jour des célibataires, dont 10 000 vendeurs étrangers, poursuit Michael Evans. Cette année, nous avons 140 000 vendeurs, dont 60 000 viennent de l’étranger. » Les marques françaises sont 250 cette année.

L’autre front, c’est l’innovation et la collaboration avec des magasins physiques. Plus de 100 000 boutiques ont participé à cette édition. Alibaba se charge d’attirer les clients jusqu’à elles à travers une publicité ciblée, un jeu en réalité augmentée façon Pokemon go, (« trouver le chat », symbole de Tmall) pour trouver des bons de réductions dans les magasins, auquel a participé le fabricant de cosmétiques L’Occitane.

Ou encore des gadgets, comme le « miroir magique », permettant d’essayer virtuellement des vêtements ou du maquillage, et de les acheter en un clic, disponible dans certains magasins L’Oréal. « Le double 11, c’est beaucoup plus que des prix cassés, a martelé Joe Tsai, vice-président d’Alibaba, en conférence de presse vendredi. Auparavant les courses, c’était une corvée, nous voulons rendre le shopping amusant ! »