Bordeaux veut tourner la page de sa tentation insulaire
Bordeaux veut tourner la page de sa tentation insulaire
Par Laetitia Van Eeckhout (Nouvelle-Aquitaine, envoyée spéciale)
Des municipalités entendent tirer parti de nouveaux liens avec la capitale girondine, longtemps tentée par l’isolationnisme.
Vue aérienne de Marmande. / Pierre Lavergne / Service Communication
Un sénateur veut proposer à la métropole de Bordeaux de prendre la Creuse sous son aile », titrait La Montagne dans son édition du 6 octobre. C’est dire si la capitale de la Nouvelle-Aquitaine exerce sonattraction sur les territoires voisins, fussent-ils éloignés. L’article a fait sourire l’élue bordelaise et conseillère métropolitaine chargée des coopérations territoriales, Mylène Villanove, qui l’a néanmoins précieusement gardé.
Depuis qu’elle est métropole, Bordeaux a décidé de tourner la page de sa tentation insulaire, qui lui a longtemps fait oublier qu’il existait un monde autour d’elle. Sans pour autant prendre les devants, elle se montre désormais ouverte à la coopération avec des villes qui, elles-mêmes, dépassent leur méfiance à son égard et frappent à sa porte.
Bordeaux et Libourne, bien qu’à 40 minutes en voiture et même deux fois moins par le TER, se sont longtemps ignorées. « Ni collaboration ni tension », résume Philippe Buisson, maire (PS) de Libourne et président de lacommunauté d’agglomération du Libournais, la Cali. En 2015, lorsque se dessinait le tracé de la ligne à grande vitesse (LGV) Océane, le soutien d’Alain Juppé au maintien d’une gare TGV à Libourne fut, pour lui, le premier signe d’une coopération territoriale possible.
« La loi NOTRe [Nouvelle organisation territoriale de la République], en faisant naître une forte métropole à nos portes, change la donne, et nous oblige à ne plus craindre d’être asséché par Bordeaux », soutient l’édile libournais, dont l’agglomération englobe depuis le 1er janvier 2017 douze nouvelles communes, dont certaines la rapprochent encore plus de la métropole. « Libourne se paupérise depuis une quinzaine d’années. Et elle veut désormais, insiste-t-il, marcher sur ses deux jambes : elle doit assurer sa fonction de ville-centre vis-à-vis de son arrière-pays, tout en assumant son rôle de ville périmétropolitaine aux portes de cette métropole très attractive. »
Vue de l’hôtel de ville de Libourne. / Aurélien Marquot
Philippe Buisson est convaincu que son agglomération a tout à y gagner. Surtout à l’heure où Bordeaux arrive en tête des villes préférées des cadres franciliens désireux de quitter Paris pour aller vivre dans une autre région, comme en témoigne une enquête de Cadremploi publiée fin août. « Libourne peut intéresser les personnes venant travailler à Bordeaux. Sans compter que, sur le plan du développement économique, la Cali a encore du foncier disponible, alors que la métropole en manque », fait-il valoir.
Une des premières réalisations concrètes du protocole de coopération signé le 5 octobre va être la création, en partenariat avec la technopole de Bordeaux Technowest, d’un pôle d’accueil d’entreprises innovantes dans les domaines de la « Food Tech » et de la viticulture, pour combler l’absence de pôle girondin dans le domaine vini-viticole. Les deux collectivités projettent aussi d’aménager et de porter ensemble une zone d’activité sur le sud de la Cali.
Peser ensemble
Cette coopération vise aussi à répondre aux problèmes que génère l’attractivité de la capitale régionale, notamment en matière de mobilité. « Une des grandes faiblesses de la métropole bordelaise est d’être un territoire congestionné. Cette faiblesse rejaillit sur notre territoire », observe Philippe Buisson. Les deux collectivités souhaitent ainsi travailler de concert pour améliorer les fréquences des dessertes en transports en commun et les correspondances entre les différents modes de transport. Leurs édiles entendent aussi créer un syndicat mixte des transports sur le bassin de vie métropolitain, avec une billettique unique. Et peser ensemble pour que soit remise sur la table l’idée d’un grand contournement par l’est de Bordeaux.
« Il ne s’agit ni d’une allégeance ni d’une volonté à terme d’intégrer la métropole. Notre collaboration relève du bon sens », insiste Philippe Buisson, qui sait « [ses] amis du département plus que réservés » sur ce sujet, craignant « une vassalisation par la métropole ». Mylène Villanove ne cache pas elle-même que ce type de coopération interterritoriale ne va pas encore de soi pour les services territoriaux, comme pour les élus de la métropole. Mais elle n’en est pas moins convaincue : « Métropole et territoires ont un avenir commun. Les territoires peuvent bénéficier du dynamisme de la métropole question emplois, équipements… Mais eux-mêmes offrent, par leur qualité de vie, une alternative à la vie urbaine, et disposent de ressources alimentaires, énergétiques, touristiques qui leur confèrent un rôle stratégique », insiste Mylène Villanove, qui voit les sollicitations de communes de toute taille se multiplier.
INFOGRAPHIE LE MONDE
Abolir les distances
Après Libourne et Angoulême (qui fut la première en 2016 à se lancer dans un partenariat), les jalons de nouvelles coopérations se dessinent déjà avec Saintes. Et même Marmande, une commune que Bordeaux n’attendait pas. Cette ville de 18 000 habitants, centre d’une agglomération qui en compte 62 000, sort aujourd’hui doucement de sa torpeur. Après qu’elle a subi de plein fouet la crise de 2008 et ses soubresauts, et vu ses commerçants déserter son centre-ville, son économie commence à rebondir. Mais sa population reste vieillissante, avec une forte proportion de retraités et d’actifs de plus de 50 ans.
Aujourd’hui, Marmande tire peu parti de la dynamique bordelaise, malgré sa relative proximité avec la capitale régionale (à 46 minutes en TER, et à 1 h 10 en voiture). Les flux domicile-travail demeurent largement plus tournés vers l’aire urbaine d’Agen que vers celle de Bordeaux.
« La crainte d’être une cité-dortoir de Bordeaux, qui existait encore il y a quelques années, n’a pas de raison d’être », relève Daniel Benquet, maire (LR) de Marmande et président de Val de Garonne Agglomération, qui veut « s’affranchir de cette peur d’une relation inféodée » et renforcer l’attractivité résidentielle de son territoire pour tirer profit du dynamisme de la métropole bordelaise. « Le niveau de développement d’un territoire dépend non seulement de sa capacité à produire, mais aussi à capter de la richesse par les revenus des habitants qui y résident », affirme-t-il aujourd’hui. « Il y a une vraie vie à Marmande. Et le numérique peut abolir les distances », fait valoir l’édile, qui a lancé dès son élection en 2014 un plan numérique et s’apprête d’ici peu à ouvrir un tiers-lieu au cœur de sa commune.
Mais « j’attends que l’on nous prenne au sérieux », prévient Daniel Benquet, qui a demandé à ses services de mener en amont, des rencontres avec les représentants de Bordeaux Métropole, une réflexion pour identifier les thématiques de cette coopération. Pas question d’arriver avec un statut de victime : Val de Garonne a des atouts, et doit les faire valoir.
« Il ne s’agit pas d’être dans l’effet d’annonce, assure pour sa part Mylène Villanove, mais de regarder concrètement les complémentarités, les synergies possibles, qui peuvent favoriser une coopération. Et cela prend du temps.Néanmoins, il n’est pas nécessaire d’être limitrophe pour travailler ensemble. »
D’ailleurs Bordeaux regarde encore plus loin, et se verrait bien jeter les bases d’un « pacs territorial métropolitain » avec Toulouse. D’autant qu’elle partage avec la Ville rose la même ambition de métropole européenne. Mais, pour l’heure, avec la nouvelle géographie régionale, Toulouse semble davantage amenée à se tourner vers Montpellier, l’autre métropole d’Occitanie.