Le ministre de l’intérieur Gérard Collomb visite le marché de Brixton à Londres, le 16 novembre. / JOEL FORD / AFP

Lorsqu’il était ministre, en mars 2016, trois mois avant le vote du Brexit, Emmanuel Macron avait averti : si le Royaume-Uni sortait de l’Union européenne (UE), « les migrants ne seraient plus à Calais ». Autrement dit, la France exigerait alors la révision des accords du Touquet, ces accords franco-britanniques controversés qui permettent aux policiers de Sa Majesté de stopper les migrants dans les ports français. En visite à Londres, jeudi 16 novembre, le ministre de l’intérieur Gérard Collomb n’a fait aucune déclaration publique sur le sujet. Mais le discours tenu par son entourage est nettement plus modéré.

Plus question de menacer ouvertement de dénoncer les accords bilatéraux, mais plutôt d’utiliser cette éventualité pour obtenir des financements et des garanties britanniques. « Le sujet des accords du Touquet reste sur la table, explique au Monde un proche du ministre. Les Britanniques en sont conscients. C’est dans ce contexte que se déroulent les discussions avec eux sur la situation dans les Hauts-de-France. » Hautement sensible, la question de la frontière transmanche sera au centre d’un sommet franco-britannique prévu à la mi-janvier 2018.

Aide financière

Jeudi matin, Gérard Collomb a dialogué avec des « policiers de quartier » à Brixton, zone d’habitat populaire au sud de Londres. Leur expérience doit éclairer son propre projet de « police de sécurité du quotidien ». Puis il a rencontré son homologue britannique Amber Rudd, qui a fait campagne contre le Brexit, l’applique désormais, et dont le nom est cité pour une éventuelle succession de Theresa May.

Le passage du communiqué commun publié à l’issue de leur entrevue recourt à la langue diplomatique d’usage pour évoquer la situation à Calais et les accords du Touquet. « Les ministres ont reconnu l’importance de l’aide britannique en matière de renforcement des aménagements de sécurité des villes côtières du nord de la France et la nécessité de poursuivre leurs efforts dans la gestion conjointe de la frontière commune franco-britannique ».

En clair, Paris souhaite que Londres poursuive son aide financière – 140 millions d’euros en trois ans – pour l’aménagement de dispositifs de plus en plus sophistiqués sur le sol français, destinés à empêcher les migrants de traverser la Manche. La ministre Amber Rudd s’est d’ailleurs engagée à « travailler en vue d’un nouvel engagement britannique ». La contribution du Royaume est considérée comme la contrepartie du fait que la France assume seule la « pression migratoire ».

Mais « il n’est pas évident que les accords du Touquet soient dans l’intérêt de la France », estime-t-on dans l’entourage de M. Collomb où l’on se souvient des propos nettement plus musclés du ministre, puis du candidat Macron. En 2015, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) avait même estimé que les accords du Touquet font « de la France le “bras policier” de la politique migratoire britannique ».

« Chantage » de Macron

En mars 2016, trois mois avant le référendum sur le Brexit, M. Macron, alors ministre de l’économie, avait lui-même brandi la menace de leur dénonciation en cas de vote favorable des Britanniques à une sortie de l’UE. Ses propos – « les migrants ne seraient plus à Calais » – avaient alors été dénoncés comme relevant du « chantage » et d’un « complot destiné à effrayer les électeurs [britanniques] » par le député conservateur David Davis, qui n’est autre que l’actuel ministre du Brexit.

Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron a précisé ses propos. « Je veux remettre le traité du Touquet sur la table. Il doit être renégocié, en particulier (…) à propos du sort des mineurs isolés », a-t-il déclaré le 27 avril sur TF1. Pendant sa propre campagne électorale pour les législatives de juin, Theresa May a même utilisé cette menace française pour réclamer des électeurs britanniques un mandat fort, ce qu’elle n’a pas obtenu.

Désormais très affaiblie politiquement mais toujours engagée dans un Brexit dur, la première ministre n’est plus en position de force à propos des accords du Touquet. Pourtant, alors que le président de la région des Hauts-de-France Xavier Bertrand en réclame toujours la révision, le gouvernement pourrait préférer négocier de nouvelles contreparties, notamment en matière d’accueil des demandeurs d’asile par les Britanniques, d’aide au retour des migrants et d’aide financière au Calaisis.