Développement économique : « l’effet LGV » n’est pas garanti
Développement économique : « l’effet LGV » n’est pas garanti
LE MONDE ECONOMIE
Les villes desservies par les nouvelles lignes à grande vitesse espèrent attirer davantage d’entreprises. Une attente souvent déçue.
Lorsque l’entreprise Betclic a décidé de réunir ses équipes de Paris et de Londres sur un seul site, le choix de la ville d’accueil ne s’est pas fait attendre : c’est à Bordeaux que seront regroupés les 130 salariés du leader des paris en ligne, a dévoilé en octobre son directeur général, Nicolas Béraud.
Une conséquence de la nouvelle ligne à grande vitesse (LGV), inaugurée en juillet, reliant la capitale girondine à Paris en moins de deux heures ? « C’est évidemment un atout supplémentaire, mais le TGV n’est pas la raison principale de ce choix, nuance Nicolas Béraud. Bordeaux possède un écosystème particulièrement dynamique et de très bonnes formations dans le domaine du numérique, ce qui permet d’attirer les talents. Et le coût des locaux commerciaux est beaucoup moins élevé qu’à Paris. »
Bordeaux et Rennes misent gros
Le TGV, une condition nécessaire, mais pas suffisante pour attirer les entreprises ? Comme les autres villes du littoral ouest de la France desservies par les deux LGV Atlantique inaugurées cet été, Bordeaux a misé gros sur cette nouvelle liaison. La ville a investi dans le réaménagement complet des abords de la gare Saint-Jean, accueillant plus de 500 000 m² de bureaux supplémentaires.
« On bénéficie aussi de vingt ans de travaux d’aménagement de la ville », précise
Lionel Lepouder, le président de l’agence de développement économique Bordeaux Gironde Investissement. Le réaménagement des quais et le nettoyage des façades a ainsi donné un nouveau visage à la métropole bordelaise, faisant oublier son surnom de « belle endormie ».
Désormais à moins d’une heure et demie de la capitale, Rennes a aussi vu grand : la collectivité est en train d’investir plus de deux milliards d’euros dans un vaste projet de réaménagement, incluant la construction d’une seconde ligne de métro et d’un nouveau quartier d’affaires. Objectif affiché : y attirer 25 % d’entreprises franciliennes.
Des territoires siphonnés par le TGV
Les villes moyennes ne sont pas en reste : Lorient (Morbihan) a carrément fait le choix de construire une gare pour accueillir la nouvelle desserte LGV ; du côté de Morlaix (Finistère), le projet de construction d’un funiculaire pour mieux relier la gare au centre-ville est à l’étude.
Si les collectivités n’ont pas hésité à se lancer dans des grands projets d’aménagement, « l’effet TGV ne suffit pas à attirer les entreprises sur un territoire », souligne Marie Delaplace, professeure d’aménagement et d’urbanisme à l’université de Paris-Est Marne-la-Vallée.
Un rapport de la Cour des comptes, qui s’est penché en 2014 sur le sujet, ne dit pas autre chose : « La contribution de la grande vitesse à l’égalité des territoires et au développement
économique (…) doit être relativisée », souligne le document. L’étude indique que, depuis l’ouverture de la LGV Est en 2007, l’Alsace et la Lorraine ont vu contre toute attente leur taux d’emploi… diminuer, respectivement de 2,3 % et 5 %. Si le TGV peut être profitable pour les territoires, il peut aussi contribuer à les siphonner.
Un bilan mitigé dans les villes moyennes
Par ailleurs, l’étude pointe le risque « d’effet tunnel » de la LGV, qui favorise les villes desservies aux dépens des zones intermédiaires. « 70 % des entreprises qui se sont implantées dans le nouveau quartier d’affaires construit aux abords de la gare de Reims, à l’occasion de l’arrivée du TGV Est, étaient des entreprises déjà présentes sur le territoire, indique Marie Delaplace. C’est d’abord la qualité du tissu économique local – s’il existe un bassin d’emploi qualifié, par exemple – qui est déterminant pour attirer les entreprises. »
Dans le cas de Bordeaux, détentrice du label French Tech et fief de l’entreprise de commerce en ligne Cdiscount, un fort héritage numérique existait déjà. La métropole a capitalisé sur celui-ci, en misant par exemple sur la création de lieux emblématiques comme la Cité numérique.
A Vendôme (Loir-et-Cher), le parc d’activité créé à l’occasion de l’arrivée du TGV en 1990 est loin d’avoir fait le plein : alors que l’objectif initial était d’accueillir 1 500 emplois, seuls 400 – majoritairement issus d’entreprises locales – ont été recensés sur le site vingt ans après, révèle une étude menée par le cabinet Deloitte. Même constat mitigé à Mâcon ou au Creusot (Saône-et-Loire).
Des arrêts menacés de suppression
« L’intermodalité est un autre point essentiel, souligne Marie Delaplace. Les gares exogènes sont rarement un succès. » Et de citer comme illustration les « gares betteraves » construites au milieu des champs et mal connectées avec le reste du territoire, comme ont été péjorativement surnommées les gares de Haute-Picardie ou de Lorraine. Au vu de ces résultats contrastés, les dessertes TGV des petites villes sont sur la
sellette : la réforme ferroviaire que prépare le gouvernement pourrait déboucher
sur la suppression des arrêts les moins fréquentés. Alors que 70 % des lignes à
grande vitesse sont déficitaires, plusieurs projets ont été gelés. La ligne TGV directe reliant Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) à Paris a déjà été supprimée en 2016.
« Si on prend un parallèle avec l’aérien, on ne dessert pas Brive en A380 », a défendu la ministre des transports Elisabeth Borne, lors d’un point presse donné en octobre à ce sujet. Les arguments des maires mobilisés pour défendre leur desserte TGV seront-ils entendus ?