Après l’échec de la « coalition Jamaïque », la presse allemande s’interroge sur la responsabilité des partis
Après l’échec de la « coalition Jamaïque », la presse allemande s’interroge sur la responsabilité des partis
Par Pierre Bouvier
L’échec des négociations pourrait signifier un retour aux urnes pour les Allemands, au début de l’année 2018, alors qu’ils viennent d’élire leurs députés à la fin de septembre.
« Il est préférable de ne pas gouverner que de mal gouverner », a déclaré Christian Lindner, le patron du FDP pour justifier la fin des négociations entre les conservateurs de Mme Merkel (CDU-CSU), les libéraux (FDP) et les écologistes. / ODD ANDERSEN / AFP
Lundi 20 novembre, l’Allemagne s’est réveillée dans une situation inédite : le pays n’a pas de majorité pour être gouverné, ce qui n’était jamais arrivé depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne en 1949. Ce séisme politique pourrait déboucher sur de nouvelles législatives et une fin de parcours pour la chancelière Angela Merkel, au pouvoir depuis 2005.
Pour le quotidien populaire Bild, tous les partis sortent perdants de cette crise :
« Les Verts n’ont pas eu la force de dépasser leurs limites, pas plus que le Parti libéral-démocrate [FDP]. La CDU [conservateurs] a été prise en otage par la petite CSU. Quant à Angela Merkel, elle n’a pas eu la force de se libérer de cette situation. C’est un moment-clé pour le SPD [Parti social-démocrate] qui, après avoir refusé les négociations, doit être prêt à les reprendre. Les électeurs veulent un gouvernement et leur colère peut frapper n’importe quel parti, à juste titre. »
Le rôle du SPD
Le quotidien Die Welt revient, lui, sur les causes de l’échec à former cette « coalition Jamaïque » – en raison des couleurs du drapeau jamaïcain : noir pour les chrétiens-démocrates de la CDU-CSU, jaune pour le Parti libéral-démocrate (FDP) et vert pour les écologistes : « Les divergences entre les Verts, le FDP et la CSU en matière d’immigration, en particulier le regroupement familial, en sont la principale raison. »
Le quotidien s’attarde également sur les options qui s’offrent aux sociaux-démocrates :
« Le SPD n’a eu de cesse de critiquer la “coalition Jamaïque”. Mais secrètement, les sociaux-démocrates espéraient une telle alliance gouvernementale, afin de pouvoir se présenter en une “opposition forte”. Mais après l’échec de la coalition, la pression monte sur eux pour qu’ils assument leurs responsabilités politiques. »
Le quotidien s’interroge encore sur le rôle de Frank-Walter Steinmeier, le président de la République, qui est confronté à « une tâche jamais vue dans l’histoire de la République fédérale ». Il a un rôle décisif dans la manière dont les choses pourraient se dérouler au cours des prochaines semaines, et notamment dans l’application de l’article 63 de la Constitution qui traite du chancelier fédéral. M. Steinmeier doit prendre la parole lundi à 14 h 30.
L’échec de la « coalition Jamaïque » signifie-t-il que Merkel a échoué, s’interroge, de son côté, le Zeit ? « Tout dépend de la manière dont les électeurs jugeront sa responsabilité dans cet échec. Le FPD rejette la faute sur la chancelière, mais l’Union chrétienne-sociale en Bavière (CSU) et les Verts l’ont, au contraire, remerciée pour la manière dont elle a mené les négociations. Par ailleurs, la chancelière reste très populaire. Enfin, elle pourrait décider d’annoncer sa retraite : lors des dernières élections, elle donnait l’impression de mener la CDU plus par devoir que par envie. »
La responsabilité du FPD mise en avant
Le Frankfurter Allgemeine Zeitung met en garde le FDP qui flirte avec le parti d’extrême droite AfD : « Sur les questions d’immigration, de politique européenne et de protection du climat, elle n’est pas si loin des positions de l’Alternative für Deutschland (AfD). »
Le Frankfurter Rundschau met aussi en cause l’attitude du FDP en reprenant la déclaration, qu’a fait Christian Lindner, le président du FDP : « “Il est préférable de ne pas gouverner que de mal gouverner.” Mais toute l’Allemagne semble penser le contraire, qu’il est préférable de mal gouverner que ne pas gouverner du tout. » Le quotidien décrit sa formation comme un « parti national-libéral, populiste, regroupant des privilégiés : personne n’a vraiment besoin d’eux dans le gouvernement ».
Le Süddeutsche Zeitung estime, au contraire, que l’Allemagne a besoin d’une grande coalition et envisage différentes combinaisons : « Après l’échec de la “coalition Jamaïque”, l’alternative est une grande coalition ou une nouvelle élection. Il est inutile de discuter des autres options de coalition : rouge-rouge-vert plus FDP, noir et jaune plus AfD. Un gouvernement minoritaire est faisable, mais pas pour le moment. Une nouvelle élection amènera peu de changement. Donc, reste la grande coalition reste, une solution qui n’est pas mauvaise pour le pays, mais a écrasé le SPD. » Il reste à la CDU et au SPD à combler les différences entre eux.
Pour Die Tageszeitung, « le FDP n’a pas fait échouer la “coalition Jamaïque” par accident, mais intentionnellement. Le FDP plonge la République dans une crise, sans pouvoir l’expliquer. Beaucoup de pose – “nous contre le front uni démocrate-vert-chrétien” – et peu de substance. Qui ferait un vague parallèle avec [Donald] Trump n’aurait pas tort. »