La cité du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie sous tension
La cité du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie sous tension
Par Louise Couvelaire
La police est régulièrement prise pour cible depuis une interpellation au cours de laquelle un homme a été brûlé aux mains. Une enquête a été ouverte par le parquet.
Ce soir, ils ont décidé de suspendre les hostilités. Ils se contentent de suivre du regard les camionnettes de police et les voitures banalisées qui passent et repassent au coin de la rue, sans broncher. Leurs poches de survêtement sont vides : ni cocktail Molotov ni mortier. Il est plus de 22 heures ce lundi 20 novembre dans le quartier des Peintres-Médecins du Val-Fourré, cité de 20 000 habitants située dans l’ouest de Mantes-la-Jolie (Yvelines), l’heure à laquelle, depuis le week-end, quelques dizaines de jeunes prennent la police pour cible en attaquant leurs véhicules avec des tirs de mortiers d’artifice et « tout ce qui [leur] tombe sous la main », raconte l’un d’eux : des pierres, des cailloux, des boules de pétanque… Plusieurs voitures ont été incendiées en quelques jours.
Ces échauffourées font suite à l’interpellation, mardi 7 novembre, par des agents de la Brigade spécialisée de terrain, d’un homme de 27 ans, au cours de laquelle il a été brûlé « au deuxième et au troisième degrés » aux mains et aux poignets, selon le diagnostic des médecins de l’hôpital parisien où il a été conduit. Des brûlures « aggravées par le diabète » dont il souffre. Le parquet de Versailles a ouvert une enquête et l’Inspection générale de la police nationale a été saisie.
La rue du Docteur-Broussais, en plein cœur du Val-Fourré, est le lieu de rassemblement des jeunes du quartier. C’est là qu’ils se donnent rendez-vous, discutent entre copains et, depuis la semaine dernière, qu’ils se retrouvent avant de passer à l’action. « Je suis un professionnel de l’émeute », fanfaronne Youssef (le prénom a été changé), 20 ans, tout sourire. Le jeune homme est une grande gueule, mais il ne rigole pas. Il vient de passer neuf mois en prison – « un traumatisme », dit-il – mais il est prêt à prendre le risque d’y retourner. « Vous avez vu les photos de ses mains ? Vous avez vu comment ils lui ont cramé les doigts ?, gronde-t-il. On veut traumatiser les policiers comme eux le font avec nous. » Les quinze jeunes hommes qui l’entourent, âgés de 18 ans à 20 ans, acquiescent. « Cette bavure policière, c’est la goutte d’eau », renchérit l’un d’eux.
« Chauffage défectueux »
Les policiers sont suspectés d’avoir traité le plaignant de « sale négro », de l’avoir frappé puis maintenu contre un chauffage d’appoint dans le fourgon l’emmenant au commissariat, en ignorant ses « cris de douleur », selon son avocat. Dans un communiqué, le parquet a indiqué que l’homme se serait « rebellé », qu’il aurait « tenté de prendre la fuite » avant d’être menotté puis « hissé avec difficultés dans le fourgon ». Pendant le trajet, il aurait refusé de s’asseoir et « donné des coups de pied dans la porte latérale ». Trois fonctionnaires l’auraient alors « allongé sur le dos où il continuait de se débattre » en tentant de « mordre » l’un d’eux.
Une vidéo amateur semble cependant montrer que l’interpellation s’est déroulée sans résistance, du moins jusqu’à ce que le plaignant monte dans le fourgon. Face aux caméras de télévision, le secrétaire départemental du syndicat Unité SGP-Police FO, Cyril Thiboust, a déclaré qu’un « chauffage défectueux » était à l’origine de l’incident, qu’il s’agirait donc d’un « dysfonctionnement totalement involontaire » et que « l’individu ne s’était plaint à aucun moment d’avoir mal ». Les brûlures n’auraient été constatées qu’une fois arrivé « dans le local de fouille ». Le jeune homme a dû subir une greffe de peau.
Depuis l’attentat commis par un habitant du Val-Fourré se réclamant de l’Etat islamique contre un commandant de police et sa compagne dans la ville voisine de Magnanville, le 13 juin 2016, « nos relations avec les policiers ne cessent d’empirer », souligne un jeune homme de 19 ans. Lui et ses copains racontent la même histoire : les contrôles d’identité incessants accompagnés d’insultes à caractère raciste – « bamboula », « négro », « bougnoule », « kirikou » –, de brutalités et de provocations. Pointés du doigt surtout, les « petits nouveaux », comme ils appellent les jeunes policiers « qui ne savent pas gérer le stress et se sentent vite menacés ». « Les plus âgés savent beaucoup mieux y faire », souligne l’un d’eux, qui prêche pour une meilleure formation des agents de police.
Des émeutiers mineurs
L’accalmie d’hier soir n’est ni une trêve ni le signe d’un apaisement, précisent-ils. S’ils sont restés tranquilles, c’est que le gros des troupes était au repos. « Demain, il y a école », explique l’un d’eux. Car ce sont « les petits », autrement dit les mineurs, qui sont en première ligne. Tout est organisé en amont par quelques « grands », dont Youssef et ses amis font partie, qui vont acheter les mortiers à Paris, « chez un fournisseur à nous », et s’occupent de plonger la rue dans le noir avant chaque attaque. Mais la plupart des émeutiers – entre 50 et 100 – sont âgés de 14 ans à 16 ans. « Les grands ont autre chose à faire, commente Youssef, qui a arrêté l’école en troisième et travaille dans un fast-food. Ils ont une vie, une femme, des enfants et un travail ». Les trois quarts des garçons du groupe de « meneurs » ont été en prison – le plus souvent, pour trafic de stupéfiants – et sont au chômage.
« Quand on veut les raisonner, ils nous rembarrent, témoigne un aîné. On n’arrive à rien. Ils me disent : “C’est toi qui vas me donner du taf ? Non. Alors ta gueule !”. » « Ce n’est pas ce qu’on veut, les violences policières et les émeutes, dit l’un d’eux. Nous, tout ce qu’on veut, c’est qu’ils arrêtent de nous traiter comme des animaux. Ce qu’on veut, c’est du travail, mais personne ne veut de nous. Notre seule perspective, dans le meilleur des cas, c’est l’usine Renault de Flins. » Assis sur un banc, à quelques encablures, Ousmane, 20 ans, reste silencieux quelques secondes, les yeux rivés sur ses baskets, avant de relever la tête : « Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse d’autre, souffle-t-il. On sait que c’est un truc de con de faire ça, qu’on n’y a jamais rien gagné et qu’on n’y gagnera rien, mais on ne sait tellement pas comment réagir. » Pour lui comme pour les autres, porter plainte ne « sert à rien », de même que manifester.
« Si on ne fait rien, les policiers vont recommencer », juge Youssef. C’est aussi une question « d’orgueil » et « d’honneur » du quartier, admettent-ils. Alors qu’importent les voitures brûlées : « C’est que du matériel, ça se remplace. Mais pas une main ! », s’emporte un jeune homme, qui promet un nouveau face-à-face avec les forces de l’ordre dès le week-end prochain.