Cyclisme : « Le départ du Tour d’Italie en Israël n’est pas un message politique »
Cyclisme : « Le départ du Tour d’Italie en Israël n’est pas un message politique »
Par Clément Guillou (Envoyé spécial à Londres, Royaume-Uni)
L’organisateur du Tour d’Italie cycliste, Mauro Vegni, répond à la polémique sur le départ du Giro à Jérusalem. Et dit espérer accueillir Christopher Froome au départ.
Ce mercredi 29 novembre à Milan, les organisateurs du Tour d’Italie dévoilent la partie italienne de leur course cycliste (du 4 au 27 mai 2018). Mais l’essentiel est ailleurs : dans ce qui est déjà connu, un départ donné en Israël, et ce qui reste à connaître, la possible participation de Christopher Froome.
Rencontré à Londres au début de novembre, en marge d’un salon du cycle dans la capitale britannique, le directeur du Giro, Mauro Vegni, s’explique, pour Le Monde, sur les dessous d’un départ controversé et évoque des projets encore plus lointains.
Le directeur du Giro, Mauro Vegni, et la ministre israélienne du sport et de la culture, Miri Regev, lors de la présentation du Grand Départ en Israël du Giro 2018. / THOMAS COEX / AFP
Pour sa centième édition en 2017, le Giro retournait sur des hauts lieux de son passé et de l’histoire italienne, pour célébrer l’Italie. Quel message voulez-vous faire passer en donnant le départ du Giro 2018 en Israël ?
Le message, c’est que le cyclisme doit s’ouvrir au monde entier. Evidemment, c’est intéressé : pour nous, organiser le départ du Giro en Israël signifie bénéficier d’une visibilité très, très importante.
Les équipes UAE Team Emirates et Bahreïn-Merida sont sponsorisées par deux pays ne reconnaissant pas l’existence d’Israël. Que pensent-elles de ce départ de Jérusalem ?
Je sais que ces pays arabes s’en sont parlé et ont décidé ensemble qu’ils devaient être au départ. Officiellement, aujourd’hui, cela ne pose de problème ni à Bahreïn ni aux Emirats que leurs équipes aillent en Israël pour le départ du Giro. C’est aussi parce que nous ne voulons absolument pas passer un message politique. Nous faisons du sport, du cyclisme, et c’est une opportunité pour nous. Stop. Rien de plus. Il n’y a rien de politique.
Le tracé évite les territoires que les Nations unies considèrent comme « occupés », y compris Jérusalem-Est. Mais peut-on organiser une grande épreuve en Israël sans que cela ne suscite des interprétations politiques ?
Bien sûr qu’il y en aura. Un choix de Grand Départ ne fera jamais l’unanimité, à plus forte raison si c’est en Israël. L’important, c’est qu’on ne me fasse pas dire ce que je ne veux pas : je souhaite simplement passer un message sportif, ce n’est en aucun cas un soutien à tel ou tel.
Vous ne pensez pas que le Giro est utilisé politiquement par Israël ?
(Il soupire.) Le bénéfice intérieur qu’Israël veut tirer de cette opération, je ne le connais pas. Je peux imaginer ce qu’ils en feront, je peux le comprendre, mais je n’approuve pas cette façon de voir.
Le parcours des trois étapes du Giro 2018 en Israël. / THOMAS COEX / AFP
A l’inverse, craignez-vous des manifestations politiques en marge de ce départ en Israël ?
Il est évident que, dans tout cela, Israël joue son image et fera tout pour garder tout sous contrôle. Ils ont déjà organisé de grands événements, comme récemment le championnat d’Europe de basket, et je pense que ce sera sous contrôle comme tout événement en Israël.
Dans les faits, le passage en Italie m’inquiète davantage. En Italie, il y a une liberté d’expression absolue. Il y a toujours la possibilité que quelqu’un se mette au milieu de la route pour protester, par exemple. Israël, bon… C’est Israël…
Quand le pays a-t-il candidaté pour organiser le départ du Giro ?
On a commencé à en parler en 2015. On a dû surmonter plusieurs obstacles, notamment obtenir une dérogation de l’UCI pour partir un jour plus tôt (afin que les coureurs disposent d’un jour de repos après le transfert pour l’Italie). Il y avait des problèmes logistiques et économiques majeurs : compte tenu de la proximité de la Syrie, l’acheminement par la terre n’était pas possible, et par la mer, c’était trop long.
Le plus simple était d’amener le matériel des équipes directement en Italie et de louer du matériel en Israël. Bien sûr, c’est le pays qui paye tout cela, mais cela fait grimper le prix de l’organisation, raison pour laquelle les négociations ont été plus longues que d’habitude.
Quel est le montant payé par Israël à RCS, la société organisatrice, pour accueillir ce Grand Départ ?
C’est une somme importante, mais tout ne va pas à RCS (selon le Jerusalem Post, le coût du Grand Départ est de 12 millions d’euros, dont quatre iront à l’organisateur). Nous avons voulu d’une certaine façon remercier toutes les équipes : lorsqu’on fait des opérations particulières qui nous rapportent plus d’argent, c’est normal de redistribuer en partie. Sans l’aval des équipes, nous ne pourrions rien faire.
Peut-on imaginer un départ de grand tour dans les pays du Golfe, qui organisent déjà des courses cyclistes ?
Pourquoi pas ? Je n’en fais pas une question politique. Partout où l’on demande du cyclisme de haut niveau, j’évalue la situation. Pourquoi ne pas aller aux Etats-Unis ou dans les pays arabes ? Si cela fait du bien au cyclisme, j’y vais de bon cœur. Regardez la formule 1, ils font la même chose : ils ont abandonné beaucoup de Grands Prix historiques en Europe pour en créer en Asie.
Il n’y a pas les mêmes problèmes logistiques avec la formule 1…
Quand on a créé un modèle logistique, comme ici pour Israël, on peut l’appliquer partout. La seule variable, c’est la distance : le vol pour ramener le peloton peut prendre dix heures au lieu de quatre.
Il reste la problématique du décalage horaire et de la fatigue des coureurs…
Bien sûr, mais le modèle est le même. Il faut évaluer ensuite si on a besoin d’un, deux jours de repos… Pour moi, on peut aller n’importe où, à partir du moment où cela participe au développement du cyclisme dans le monde.
Avec le Japon, nous avons de très bons rapports, on réfléchit. En 2020, il y a les Jeux olympiques là-bas, ce serait une belle occasion pour y aller.
Le Néerlandais Tom Dumoulin, vainqueur l’an dernier à Milan, n’a pas encore annoncé s’il disputerait le Giro 2018. / LUK BENIES / AFP
Le Tour de France 2018 ne semble pas favorable à Tom Dumoulin, qui a remporté votre épreuve cette année. Aimera-t-il davantage le Giro ?
Je n’ai jamais dessiné le Giro pour un coureur et je ne le ferai jamais. Je ne vais pas prévoir un long contre-la-montre pour attirer Dumoulin ou Christopher Froome. Parce qu’alors je prendrais le risque de ne pas avoir Vincenzo Nibali au départ… Ce qui est important, c’est l’équilibre.
Nous aurons un contre-la-montre à Jérusalem, de dix kilomètres, mais qui ne fera pas beaucoup d’écart, car il y a beaucoup de relances en ville. Il y en aura un autre de 34 kilomètres, davantage pour les spécialistes, dans la dernière semaine qui comportera aussi trois grandes étapes de montagne, très difficiles, pour équilibrer.
Christopher Froome pourrait, après ses victoires sur le Tour de France et d’Espagne 2017, tenter un triplé historique au départ du Giro 2018. / THIBAULT CAMUS / AP
Le rêve, pour vous, c’est d’avoir un duel entre Christopher Froome et Tom Dumoulin arbitré par Fabio Aru ?
Aujourd’hui, j’espère encore les avoir tous (seul Fabio Aru a, pour l’instant, annoncé sa participation au Giro 2018). Jusqu’à présent, personne ne m’a dit non et c’est déjà un premier pas. Ils réfléchissent.
En 2009, votre prédécesseur Angelo Zomegnan avait payé, selon la presse de l’époque, entre un et deux millions de dollars à Lance Armstrong pour le faire venir sur le Giro. L’envisagez- vous pour convaincre Christopher Froome ?
On a souvent eu Alberto Contador et je ne lui ai jamais donné une lire. Pas un euro. Un coureur comme Froome gagne déjà très bien sa vie : s’il vient sur le Giro, c’est pour un objectif sportif. Les coureurs comme lui ne viennent pas pour l’argent.
Nous avons parlé un peu avec son entourage et on travaille à le faire venir. Pour moi, il a une occasion unique d’entrer dans l’histoire l’année prochaine : il serait le premier coureur à remporter trois grands tours d’affilée. Ce peut être une grande motivation pour lui.
Lundi 27 novembre, le quotidien néerlandais De Telegraaf et l’hebdomadaire britannique Cycling Weekly ont rapporté que Christopher Froome serait effectivement au départ du Giro 2018, pour la première fois depuis son explosion au plus haut niveau. Selon Cycling Weekly, la prime de participation versée par l’organisation à Froome sera plus élevée que celle dont avait bénéficié Armstrong. « Ce n’est pas encore une information. Nous espérons que cela le deviendra », dit-on à RCS.