Des œufs de ptérosaures découverts en Chine révèlent la genèse d’un reptile volant
Des œufs de ptérosaures découverts en Chine révèlent la genèse d’un reptile volant
Par Hervé Morin
Un gisement de 200 œufs fossilisés, dont certains contiennent les vestiges d’embryons, éclaire le comportement de nidification de ces contemporains des dinosaures.
Oeufs de ptérosaures trouvés en Chine. / WANG ET AL., SCIENCE 2017
Les ptérosaures, des reptiles contemporains des dinosaures, ont régné sur le ciel pendant plus de 150 millions d’années. Avant de disparaître sans laisser de descendance il y a 66 millions d’années. Les plus imposants, d’une envergure allant jusqu’à 12 mètres, sont les plus grandes créatures volantes que la Terre ait connues.
Mais cette famille très diversifiée – une centaine d’espèces dénombrées – comptait aussi des volatiles aussi menus qu’un moineau. Hamipterus tianshanensis, une espèce datant du crétacé inférieur (entre 140 et 100 millions d’années), faisait la taille d’un grand goéland. Peuplant ce qui est aujourd’hui la province du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, l’animal avait été décrit en 2014 par l’équipe de Zonghe Zhou (Académie des sciences de Chine, Pékin). Surprise : un ensemble de cinq œufs accompagnait ces fossiles. La découverte était d’importance, car un seul œuf de ptérosaure, découvert en 2004 en Argentine, était jusqu’alors connu.
L’équipe de Zonghe Zhou a poursuivi ses investigations et revient avec une moisson bien plus pléthorique. Dans une nouvelle étude publiée par la revue Science, elle révèle la découverte d’un nouveau gisement contenant des centaines de fossiles d’Hamipterus, mais aussi 215 œufs – « mais il pourrait y en avoir 300, car plusieurs apparaissent enterrés sous ceux qui ont été exhumés », rapporte l’équipe.
Ensemble d’os et d’œufs de ptérosaures de l’espèce Hamipterus tianshanensis découverts dans le nord-ouest de la Chine. / WANG ET AL., SCIENCE 2017
« C’est tout à fait extraordinaire, se réjouit le paléontologue français Jean-Michel Mazin, responsable d’un site de fouilles à Crayssac (Lot) où de multiples traces de ptérosaures ont été mises au jour. Ce gisement va conduire à de nombreuses autres publications. Cela rendrait presque jaloux. »
La découverte confirme que les ptérosaures pondaient des œufs « souples », recouverts d’une fine pellicule parcheminée, comme les lézards actuels. « Alors que les ptérosaures étaient plus proches des dinosaures et des crocodiles, aux œufs à coquille rigide, leur ponte ressemble plus à celle des lézards, plus éloignés sur le plan évolutif », commente Jean-Michel Mazin.
Site de ponte collectif
Cette structure implique que la ponte devait être enfouie, pour la protéger de la dessiccation, comme le font aujourd’hui les tortues marines. « Cela écarte toute forme d’incubation par contact, comme celle observée chez les oiseaux modernes, commente Charles Deeming, de l’université de Lincoln au Royaume-Uni, dans Science. Cependant, des adultes devaient s’occuper des nids ou les protéger, ce qui expliquerait la présence sur le site de nombreux ossements de ptérosaures adultes. »
Il faut donc imaginer une colonie, un site de ponte collectif, qui aurait été touché par un glissement de terrain ayant facilité la fossilisation de l’ensemble. « Une grande partie des œufs décrits sont racornis, chiffonnés, ce qui suggère un incident survenu au moment de la ponte », avance Jean-Michel Mazin. A moins que la compétition pour trouver un lieu de ponte meuble n’ait entraîné la destruction accidentelle d’autres nids, comme on l’observe parfois chez les tortues marines qui déterrent par mégarde la descendance de leurs voisines.
L’équipe chinoise a une autre explication : l’étude des strates géologiques laisse penser que le lieu de ponte, situé dans un environnement lacustre, aurait pu être déterré par un puissant orage. « Les œufs auraient été entraînés dans le lac, flottant à sa surface, se concentrant avant d’être enfouis avec les squelettes désarticulés des adultes », écrivent-ils.
Aucune dent observée dans l’échantillon
Cette incubation enterrée fait naître d’autres hypothèses : elle devait durer longtemps en raison d’une température moins élevée que chez les animaux couveurs. Cela signifie-t-il aussi que les petits sortaient de leur coquille tout armés pour la vie et le vol ? C’est là que la découverte de seize embryons prend tout son intérêt. « A de rares exceptions, leurs os ont tendance à être désarticulés et déplacés par rapport à leur position naturelle », explique l’équipe chinoise.
Aucune dent n’a été observée dans l’échantillon, alors que les embryons de lézards et de crocodiles en ont. Deux possibilités : soit les embryons de ptérosaures ont été pétrifiés alors que leur développement n’était pas achevé, soit l’éruption des dents intervient plus tard chez cette espèce.
Mâchoire inférieure d’un ptérosaure adulte sur le gisement chinois. Les grandes dents constituent une des caractéristiques de l’espèce « Hamipterus tianshanensis ». / Alexander Kellner (Museu Nacional/UFRJ)
Et les ailes, membranes tendues autour du quatrième doigt de la main qui porte l’essentiel de la voilure ? Leurs articulations ne sont pas non plus formées dans l’échantillon mis au jour, alors que le fémur est bien développé. « Cela implique que les nouveau-nés devaient pouvoir se déplacer, mais qu’ils n’étaient pas capables de voler, écrivent Zonghe Zhou et ses collègues. Ce qui conduit à l’hypothèse qu’Hamipterus aurait pu être moins précoce que ce qu’on pensait généralement des reptiles volants, et que les petits nécessitaient probablement une forme de soin parental. »
« Cette conclusion dépend là encore du niveau de maturité des embryons étudiés, note cependant Jean-Michel Mazin. On ignore s’ils étaient arrivés à terme. » Une prudence partagée par Charles Deeming : « Il est important de faire attention et de ne pas inférer trop d’aspects de la trajectoire de vie d’Hamipterus à partir de ce qui demeure un échantillon limité. »
Plus généralement, étant donné la grande diversité de ce groupe, on doit se garder de généraliser ce que révèle une espèce, met en garde Jean-Michel Mazin. Un exemple ? A Crayssac, les traces d’une piste d’atterrissage ont été découvertes : les deux pieds touchaient d’abord le sol, puis les deux mains, et ensuite l’animal marchait sur ses quatre membres. Mais là encore, rien ne dit que c’était le cas général. « Il n’est qu’à comparer l’atterrissage d’un cygne ou d’un moineau », dit le Français.
Géants ou minuscules, carnivores, piscivores, ou végétariens, adeptes du vol plané ou battant des ailes, ces rois des airs restés piégés dans la nuit des temps présentaient la même affolante diversité que celle forgée par l’évolution chez les oiseaux.