En Birmanie, les limites de la diplomatie vaticane
En Birmanie, les limites de la diplomatie vaticane
Editorial. Sans prononcer le nom de « Rohingya », le pape a toutefois tenu des propos fermes qui résonnaient comme une condamnation de la répression en cours. Mais s’il a été écouté, mais il n’a sans doute pas été entendu.
Le pape François et le président du conseil Sangha, Buaddanta Kumarabhivamsa, à Rangoun le 29 novembre. / OSSERVATORE ROMANO / REUTERS
Editorial du « Monde ». Pour son vingt et unième voyage hors d’Italie, depuis son élection, le pape François a pris un risque politique élevé. En se rendant en Birmanie, pays qui sort difficilement de cinquante ans de dictature militaire, il savait qu’on attendait de lui un message fort sur l’impitoyable répression qui frappe les Rohingya, installés depuis des générations dans l’Etat de Rakhine.
Depuis août, à coups d’exécutions sommaires, de viols et de déplacements forcés, les militaires se livrent à un véritable « nettoyage ethnique », condamné par les Nations unies. Environ 600 000 de ces apatrides, musulmans, se sont réfugiés au Bangladesh, où l’évêque de Rome doit achever son périple. Pour la plupart des Birmans, encouragés à la haine par une fraction du clergé bouddhiste – 88 % de la population appartient à cette religion –, les Rohingya sont des immigrés et, pour certains, des « terroristes ».
Le pape a fait une démonstration de l’habileté de la diplomatie vaticane, avec la subtilité que l’on prête parfois aux jésuites. Dès son arrivée, mardi 28 novembre, devant un parterre de militaires et en présence de la Prix Nobel de la paix et chef de fait du gouvernement, Aung San Suu Kyi, qui s’est toujours abstenue de critiquer la répression, François a appelé au « respect des droits de tous ceux qui considèrent cette terre comme leur maison ».
« L’avenir du Myanmar [Birmanie], a-t-il affirmé, doit être la paix, une paix fondée sur le respect de la dignité des droits de tout membre de la société, sur le respect de tout groupe ethnique et de son identité, sur le respect de l’Etat de droit et d’un ordre démocratique qui permette à chaque individu et à tout groupe – aucun n’étant exclu – d’offrir sa contribution légitime au bien commun ». Des propos fermes qui résonnaient comme une condamnation de la répression en cours, sauf que le pontife n’a pas prononcé le nom de « Rohingya ».
« Elimine la colère avec l’absence de colère »
Mercredi 29 novembre, devant le conseil Sangha, qui administre les 500 000 moines bouddhistes et a fini par désavouer les plus extrémistes, le pape a réitéré ses propos et a même cité le Bouddha : « Elimine la colère avec l’absence de colère, vaincs le méchant avec la bonté. »
Le chef de l’Eglise catholique, qui compte 700 000 fidèles dans le pays, a cherché à convaincre l’institution bouddhiste de s’engager dans un dialogue interreligieux pour venir à bout des tensions confessionnelles et « dépasser toutes les formes d’incompréhension, d’intolérance, de préjugé et de haine ». De nouveau, les Rohingya n’ont pas été mentionnés. En apparence, le président du conseil Sangha, Buaddanta Kumarabhivamsa, a semblé souscrire à ces paroles de réconciliation, sauf qu’il s’est inquiété que des croyances religieuses puissent servir de support au « terrorisme et à l’extrémisme »…
Le résultat de ce voyage est en demi-teinte. Le pape a été écouté, mais il n’a sans doute pas été entendu. En ne prononçant pas le mot « Rohingya », a-t-il manifesté un excès de prudence ? Le porte-parole du Vatican a expliqué que François ne peut pas « résoudre des problèmes impossibles ». Il a certes tenu des propos d’une grande fermeté et, sur le fond, sans ambiguïté. Il a évité de braquer les militaires, qui ont conservé un poids institutionnel prédominant, et a ménagé Aung San Suu Kyi qui dispose d’une marge de manœuvre très étroite. Depuis son élection, le pape ne manque pas une occasion de plaider la cause des déshérités. Mais son influence reste limitée.