Les terrils, oasis pour oiseaux migrateurs en milieu urbain
Les terrils, oasis pour oiseaux migrateurs en milieu urbain
Par Sylvie Burnouf
Dans les Hauts-de-France, ces vestiges de l’exploitation minière, sur lesquels la nature reprend ses droits, constituent des escales salutaires le long des couloirs de migration.
A Loos-en-Gohelle, les deux terrils les plus hauts de la région se dressent au dessus de la plaine. / SYLVIE BURNOUF
Ils viennent peut-être des Pays-Bas, de Finlande ou de Russie. De juillet à novembre, sur le terril de Dourges (Pas-de-Calais), il suffit de lever le nez pour voir passer des petits groupes d’oiseaux en migration postnuptiale. Déterminés malgré les nombreux kilomètres qu’ils ont déjà survolés, ils tracent leur route, cap vers le sud, pour passer leurs quartiers d’hiver. « Cela se voit à leur façon de voler », explique Vincent Cohez, directeur technique de l’association Chaîne des terrils. Pas comme ces deux gros pigeons qui virevoltent sans but manifeste à quelques mètres du sol, donc.
Ses bottes enfilées jusqu’en haut des cuisses, le naturaliste se fraie un chemin entre les roseaux touffus qui couvrent la terre noire et boueuse du terril. Comme guidé par les chants d’oiseau qui résonnent au loin, il rejoint le grand filet qu’il a tendu quelques heures plus tôt, avant les premières lueurs de cette douce journée d’octobre. Coincés dans les mailles, quelques volatiles patientent. Eux aussi se sont laissés attirer par le gazouillement – duper, même, car loin d’être émis par des petits bipèdes à plumes en chair et en os, ce dernier émane en réalité d’une enceinte dissimulée dans la végétation. Avec une minutie et une précision révélatrices de longues années d’expérience, Vincent Cohez délivre une mésange bleue et une grive musicienne des fils qui les emmaillotent.
La roselière de Dourges est un réservoir de biodiversité. / SYLVIE BURNOUF
Ce matin-là, avec l’aide de Jean-Martin Heck, garde-nature pour Eden 62 – un syndicat mixte de gestion des espaces naturels sensibles dans le département –, il répertorie quarante-trois spécimens. Une « petite journée » pour les deux hommes, qui, lors de leurs missions hebdomadaires sur le terril de Dourges, en collectent parfois trois fois plus.
Transiter du noir au vert
Vestiges d’une exploitation charbonnière intense qui s’est tarie au début des années 1990, une bonne centaine de terrils se dressent encore sur les plaines du Nord et du Pas-de-Calais. Depuis que la nature y a repris ses droits, ils constituent de véritables oasis pour les oiseaux migrateurs, qui voyagent par « petits sauts de quelques dizaines à centaines de kilomètres », indique Vincent Cohez. « Il est important que ces oiseaux puissent trouver des zones humides tout au long de leur parcours, ajoute-t-il. Il faut des connexions entre les milieux naturels. » Dans une région à la fois très urbanisée et accaparée par l’agriculture intensive, les terrils représentent, à ses yeux, des « petits poumons verts ».
Certains, comme celui de Dourges, font l’objet d’une gestion particulière : taille des arbres, entretien des roseaux, préservation des arbres à baie qui servent de garde-manger aux volatiles... le tout, sans utiliser de pesticides. Ces espaces non négligeables en termes de surface forment ainsi un réservoir de biodiversité intéressant et des zones de quiétude pour les migrateurs : ils peuvent se reposer, s’abriter, se nourrir, se désaltérer. « Un peu comme les stations-services sur les autoroutes », commente M. Cohez, non sans faire référence à celle qui borde Dourges : l’autoroute A1, qui s’étend de Paris à Lille, passe en effet à 300 mètres de là – il suffit de tendre l’oreille pour discerner le grondement sourd du trafic routier.
Depuis 1989, l’association Chaîne des terrils pour laquelle travaille le naturaliste, labellisée Centre permanent d’initiatives pour l’environnement, s’évertue à valoriser ces espaces qui étaient, par le passé, totalement industriels. « L’exploitation minière avait complètement ravagé le territoire, rappelle-t-il. Les terrils, qui incarnaient cela, étaient dénigrés. Il a fallu se battre pour les préserver. »
Si 51 d’entre eux sont inscrits, depuis 2012, au patrimoine mondial de l’Unesco – les protégeant ainsi d’une potentielle réexploitation, qui conduirait à leur disparition –, les moyens déployés semblent encore insuffisants. Résultat : « Tous les terrils ne peuvent pas être entretenus, déplore Jean-Martin Heck, et certains deviennent des forêts », avec les changements que cela implique en termes de diversité faunistique.
Suivis naturalistes et programmes scientifiques
Session de baguage avec Vincent Cohez (à gauche) et Jean-Martin Heck (à droite), au terril de Dourges. / SYLVIE BURNOUF
De retour sous leur abri en branches, en bordure de roselière, Vincent Cohez et Jean-Martin Heck décrochent les pochons de coton coloré qu’ils portent autour du cou. Le temps d’installer leur matériel – balances, réglettes, bagues de divers diamètres et guide ornithologique – ils peuvent procéder à l’analyse du contenu des petits sacs. Ici, un pinson des arbres, là, un roitelet à triple bandeau – le plus petit oiseau d’Europe. Sans plus attendre, les voilà parés d’une petite bague métallique flambant neuve. Place à l’inspection : sexe, âge, masse, adiposité, longueur du tarse, degré de mue… toute donnée utile est relevée. Dociles, les volatiles semblent deviner qu’ils ne craignent pas grand chose entre les mains des deux bagueurs.
Le naturaliste Vincent Cohez s’apprête à relâcher la mésange bleue qu’il vient de baguer. / SYLVIE BURNOUF
Ces suivis naturalistes et sessions de baguage, c’est en partenariat avec le Centre de recherches sur la biologie des populations d’oiseaux du Muséum national d’histoire naturelle qu’ils sont menés, dans le cadre de programmes scientifiques. Dynamique des populations, suivi de l’état de santé des oiseaux, caractérisation des couloirs de migration et des zones d’hivernage… les intérêts sont nombreux.
« Nous souhaitons mieux comprendre comment fonctionne la biodiversité pour être le plus efficace possible dans sa protection », précise Vincent Cohez. Face à la progression constante de l’urbanisation, le naturaliste souhaite, au travers de ces programmes scientifiques « pragmatiques et rigoureux », montrer que « la biodiversité peut se trouver au coin de la rue ».
« Nous sommes dans un territoire hyperindustrialisé, mais la nature peut revenir... car elle a encore la capacité de revenir, souligne-t-il. Mais il est temps de réagir ! Si on veut protéger la biodiversité, il faut le faire à toutes les échelles. »