Editorial du « Monde ». Pendant des années, la menace la plus imminente pour l’Organisation mondiale du commerce (OMC) venait essentiellement de l’extérieur. L’instance qui régit les échanges entre 164 pays a été régulièrement prise pour cible par le mouvement altermondialiste, qui considérait qu’il fallait abattre ce symbole du libéralisme. Mais, alors que se tient une nouvelle conférence ministérielle de l’OMC à Buenos Aires jusqu’au 13 décembre, le danger le plus grand vient désormais de l’intérieur même de l’organisation.

Le système, qui, à partir de 1995, a pris le relais de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), est en effet confronté à des dissensions internes qui fragilisent sa pérennité. L’OMC fait ainsi l’objet de critiques virulentes de la part de l’administration Trump, qui ne cesse de pointer sa partialité et son inefficacité. Pour se faire entendre, les Etats-Unis entravent la nomination de nouveaux juges au sein de l’organe juridictionnel de l’institution, qui est au bord de la paralysie.

Le révélateur Trump

Néanmoins, les difficultés de l’organisation ne datent pas de l’élection de Donald Trump. En voulant tourner le dos au multilatéralisme, qui a sous-tendu le commerce mondial depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le président américain ne fait que servir de révélateur à des dysfonctionnements plus larges.

L’impossibilité de parvenir à un accord dans le cadre du cycle de négociations de Doha, lancé en 2001, illustre jusqu’à la caricature la panne dont est victime l’institution. Le pragmatisme du brésilien Roberto Azevedo, son directeur général depuis 2013, qui consiste à signer des accords a minima, ne fait que souligner l’urgence pour l’OMC de retrouver de l’ambition. Perdant patience, ses membres se tournent de plus en plus vers des accords dits « préférentiels », à l’instar du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Japon, qui vient d’être finalisé. Autant d’initiatives qui sapent un peu plus la pertinence de l’OMC.

Remise à plat

L’impuissance actuelle tient en grande partie à l’obsolescence d’un cadre qui avait été fixé au début des années 1990. Depuis, le monde a profondément changé. A l’époque de l’Uruguay Round, le dernier cycle de négociations ayant abouti, la Chine, l’Inde ou le Brésil étaient encore des puissances en devenir. Ces pays rivalisent aujourd’hui avec les Etats-Unis et l’Union européenne, qui peuvent difficilement leur accorder des avantages commerciaux qui avaient été conçus pour ce que l’on appelait encore le « tiers-monde ».

Même si l’on doit s’inquiéter des menaces américaines pour rompre avec le multilatéralisme afin de mieux embrasser le credo protectionniste de Donald Trump, les critiques de Washington doivent être l’occasion d’une remise à plat du système. Il est difficilement contestable que l’OMC est aujourd’hui à bout de souffle. Comment continuer à fonctionner à 164 membres avec un système fondé sur l’unanimité ? Comment parvenir à un consensus, quand la règle de l’« engagement unique » stipule que, tant qu’il n’y a pas compromis sur chacun des sujets de négociation, il ne peut y avoir d’accord global ?

Les partisans du multilatéralisme, France en tête, prônent « plus d’OMC, pas moins d’OMC ». Cette supplique ne pourra avoir d’écho que si l’organisation trouve la capacité à se réformer en profondeur. Si elle n’y parvient pas, les coups de boutoir de Donald Trump pourraient finir par avoir raison d’une institution dont le fonctionnement est obsolète.