Rémy Batteault, l’œil en coin
Rémy Batteault, l’œil en coin
Par Renaud Machart
A l’occasion de la diffusion par France 3 Nouvelle-Aquitaine, le 18 décembre, de son documentaire « De cendres et d’or, une odyssée musicale », nous avons rencontré ce discret mais remarquable documentariste.
Autoportrait / Rémy Batteault
Cela fait vingt ans exactement que Rémy Batteault, né en 1966, signe des documentaires. Son premier, The Funny Face of Broadway, tourné à New York, qui traçait un intéressant portrait des métiers les moins exposés de la comédie musicale (costumiers, avocats, producteurs, etc.), date de 1997.
Mais ce fils de charcutiers, Roger et Josette – ce qui fait, contracté, “Rosette”, leur spécialité plusieurs fois médaillée – qui tenaient la vénérable maison Batteault à Beaune (dont la critique culinaire Patrica Wells a publié des recettes sur Internet), avait tâté de la caméra bien avant cette date.
« J’avais quatre ans, se souvient le documentariste, quand je suis allé pour la première fois au cinéma. Une salle à l’ancienne qui est aujourd’hui remplacée par un multiplex sans âme… J’y ai vu Peau d’âne [1970], de Jacques Demy. Je ne m’en suis jamais remis. Deux passions ont éclos en même temps : la comédie musicale et le cinéma. Je voulais coûte que coûte être de ce monde-là. »
Et pas du monde de la charcuterie : « J’ai un grand respect pour le métier de mes parents, dont je n’ai pas honte, assure Rémy Batteault. Ils étaient charcutiers, et non “traiteurs”, comme on le dit aujourd’hui, parce que cela fait moins “peuple”… Mais, non : la charcuterie, ce n’était pas pour moi. Mes parents regrettent sûrement encore que je n’ai pas repris l’affaire familiale, mais ils l’ont accepté. »
Et ce d’autant plus que M. Batteault père avait une passion pour la chose filmée (des films familiaux mais aussi des scrutations animalières). « Mon père possédait trois caméras, qu’il bichonnait méticuleusement, dont la fameuse Beaulieu. Elles sont toujours en parfait état de marche. » Un jour, le gamin chipe l’une d’elles pour tourner en douce un premier film.
Mais, au retour de la bobine développée, grande est la déconvenue : « Je m’attendais à découvrir mon chef-d’œuvre d’1 h 30, se souvient Rémy Batteault, mais n’ai reçu que trois minutes trente d’images. J’ai protesté en appelant Kodak et ai donc appris que leurs bobines ne duraient pas davantage et que j’avais tourné une journée entière sans impressionner davantage de pellicule. »
Roger décide alors d’initier son rejeton. « Sans être le moins du monde cinéphile, mon père a un sens du cadre inné. Et il pouvait passer des heures à attendre qu’un insecte ou un animal sorte de sa tanière pour le filmer. »
Le hobby du charcutier à la retraite a fini par se professionnaliser : « L’un des courts-métrages en super 8 de mon père a été sélectionné parmi les huit – sur cent vingt-huit – présentés par le concours de films de super 8 Straight 8 au Festival de Cannes 2016 et dont les droits ont été achetés par Channel 4 ! s’enthousiasme Rémy Batteault. Il a même été invité à donner une classe de maître au Brésil et a donc pris l’avion pour la première fois à cette occasion… »
Rémy Batteault passe, à 17 ans, le concours de l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) à Paris. Le règlement indique que le projet soumis par le candidat ne doit pas s’appuyer sur de la musique. « J’ai non seulement proposé un travail sur Daphnis et Chloé, de Ravel, raconte Batteault, mais l’ai accompagné crânement d’une note justifiant ma décision d’enfreindre le règlement. »
BAL PLANETE ©Remy Batteault
Durée : 13:31
Il est en tête des recalés, mais ne repassera pas le concours. Le voici suivant « de vagues études d’art plastique à Strasbourg. » Michel Cieutat, de la revue Positif, y donne des cours de cinéma. Batteault lui montre un petit court-métrage, Nuages, que celui-ci aime et qui remporte en 1985 le premier prix au Festival international de film Super 8 de Strasbourg.
Direction Montpellier où l’apprenti cinéaste suit une formation technique et rencontre Jean Malige – le chef opérateur des Mistons (1958), de François Truffaut – et sa femme, monteuse. « J’ai découvert alors que le cinéma était un métier de compagnonnage, dit Batteault. Une valeur à laquelle je suis toujours attaché. »
Il ouvre l’annuaire des métiers du cinéma et appelle tous les assistant-réalisateur listés afin de décrocher un stage sur un tournage. Alain Tasma, l’assistant de François Truffaut pour Le Dernier métro (1980) lui répond. Par son entremise, voici le jeune homme de 19 ans bombardé, sans expérience de plateau, assistant-réalisateur de Jean-Louis Comolli.
« Il s’agissait heureusement d’une petite production. Mais je n’en menais pas large. J’ai appris beaucoup de cette première expérience, se rappelle le documentariste. J’ai eu ensuite la chance de suivre un tournage d’Agnès Varda, un exemple de liberté vagabonde dont je me sens proche. J’ai ensuite été scripte, suis devenu lecteur et consultant pour des scénarios et des projets télévisés. »
En 1987 il fonde à Beaune le festival “Court-métrage et gastronomie” : « C’était formidable ! Après les projections, le public pouvait dialoguer avec les auteurs autour d’un buffet gastronomique concocté par mes parents… » Il y rencontrera entre autres les réalisateurs Pascale Ferrand, Olivier Ducastel et Colo Tavernier.
La même année, il réalise son premier documentaire sur Broadway. « Pour éviter le principe de la voix off, que je n’aime pas, j’avais décidé de faire chanter les commentaires par Fabienne Guyon et… moi-même… Personne ne voulait de cette bizarrerie, sauf la chaîne Planète qui l’a diffusé. »
Suivront, à ce jour, seize autres films dont le dernier, De cendre et d’or, une odyssée musicale, que diffuse France 3 Aquitaine le 23 décembre en fin de soirée, est consacré à la création d’un opéra à Limoges interprété par une centaine d’enfants.
Certains des documentaires de Rémy Batteault n’ont pas eu l’heur d’être diffusés par de grandes chaînes nationales. « J’ai pu remarquer une sorte de condescendance envers les films produits avec France 3 région, explique le réalisateur, comme si ces films, qui bénéficient de moyens financiers plus limités, ne pouvaient atteindre le niveau des films coproduits par le réseau national. Mais j’ai pu apprécier une liberté dans le choix de traitement de certains de mes documentaires dont je n’aurais sans doute pas pu bénéficier s’ils avaient été coproduits par un réseau national. C’est un luxe, finalement, qui a un prix… »