Ce qu’il faut retenir de l’année 2017 en Afrique
Ce qu’il faut retenir de l’année 2017 en Afrique
Par Myriam Brando
La chute de Jammeh et de Mugabe, la mise en esclavage de migrants en Libye, les crises dans le Rif marocain et au Cameroun anglophone… Résumé non exhaustif de l’année écoulée.
En Afrique, sur le plan politique, l’année 2017 a commencé avec le départ de Yahya Jammeh, en Gambie, au terme d’un scrutin remporté par son adversaire Adama Barrow, et s’est terminée par l’élection de George Weah au Liberia, marquant la première transition démocratique depuis soixante-dix dans ce pays meurtri par quatorze ans de guerre civile.
Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas masquer les crises politiques, sécuritaires ou humanitaires qui continuent de traverser le continent, du Maroc à la Centrafrique en passant par la Libye, le Mali, le Togo, le Cameroun, la République démocratique du Congo (RDC) ou l’Ethiopie… Petite rétrospective – non exhaustive – de l’année écoulée.
Des autocrates qui s’en vont
1er décembre 2016. Après vingt-deux ans de dictature fantasque et brutale, le Gambien Yahya Jammeh perd les élections, à la surprise générale. Après avoir reconnu sa défaite, il décide de contester les résultats une semaine plus tard, dénonce des « irrégularités », se braque et refuse de quitter le pouvoir. Le « fou de Kanilai » est alors soumis à de fortes pressions diplomatiques. Elles aboutissent le 21 janvier 2017 et Yahya Jammeh s’envole pour la Guinée équatoriale après avoir détourné, selon le Trésor américain, plus de 42 millions d’euros. Son successeur, Adama Barrow, accueilli à Banjul dans la liesse populaire, est un ancien agent immobilier sans charisme et sans grande expérience politique.
Pour José Eduardo dos Santos, le départ à la retraite, « pour raisons de santé », après trente-huit ans passés au pouvoir, avait été préparé. Mais depuis son accession à la présidence de l’Angola le 26 septembre, l’héritier, Joao Lourenço, se montre iconoclaste. Si l’ancien chef de l’Etat, 75 ans, a conservé la direction du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), son successeur n’a pas hésité à s’attaquer au clan dos Santos. Isabel, la fille de l’ex-président, qui régnait sur la toute-puissante compagnie pétrolière nationale, la Sonangol, a ainsi été débarquée de son poste, avant de faire l’objet d’une enquête sur de « possibles détournements » de fonds.
À 93 ans, Robert Mugabe ne devrait pas connaître cette disgrâce-là, mais le père de l’indépendance du Zimbabwe a perdu en un rien de temps son statut de plus vieux président au monde. L’armée, alliée à Emmerson Mnangagwa, l’un des vieux caciques de la ZANU-PF, le parti au pouvoir, l’a contraint à la démission le 21 novembre. Il s’agissait pour eux d’empêcher la première dame, Grace Mugabe, de prendre la succession de son mari. Le « camarade Bob », accusé d’avoir ruiné son pays, a cependant su négocier son départ. Il bénéficiera d’un logement, d’une flotte de voitures et de voyages en avion privé. Un média local a affirmé qu’il aurait été gratifié d’une prime de départ de 10 millions de dollars (environ 8,4 millions d’euros), mais le gouvernement a démenti cette information.
Des héritiers qui s’accrochent
Malgré les milliers de Togolais qui défilent dans les rues, à l’appel de l’opposition, pour demander une limitation du nombre de mandats présidentiels et sa démission, Faure Gnassingbé ne manifeste aucune intention de quitter le pouvoir. Installé à la présidence depuis 2005 après avoir succédé à son père, le général Gnassingbé Eyadéma, qui dirigea d’une main de fer le Togo durant trente-huit ans, l’actuel chef de l’Etat exerce son troisième mandat. Il court jusqu’en 2020 et, face aux réclamations de l’opposition, Faure Gnassingbé ne propose jusque-là qu’un référendum pour organiser une élection à deux tours (contre un actuellement) et la limitation des mandats. Problème : cette dernière ne serait pas rétroactive et permettrait donc à l’héritier de la famille Gnassingbé de se présenter aux élections de 2020… et de 2025.
En RDC, sans surprise, ni les sanctions économiques des États-Unis et de l’Union européenne (UE), ni les manifestations de l’opposition, n’auront suffi à persuader Joseph Kabila, 46 ans, de quitter la présidence. Le fils de Laurent-Désiré Kabila, à qui il a succédé à sa mort, en 2001, est toujours en poste bien que son deuxième et dernier mandat ait pris fin le 19 décembre 2016. D’un report à l’autre, le scrutin présidentiel devrait désormais se tenir le 23 décembre 2018, en théorie. Joseph Kabila s’est jusque-là montré un bien meilleur stratège pour se maintenir au pouvoir que pour développer un pays aussi riche que chaotique.
Au Kenya, la réélection du président Uhuru Kenyatta, le 28 novembre, a marqué la fin d’une campagne violente, levant le voile sur de nombreuses difficultés du pays. Malgré un score stalinien (98,26 % des voix au deuxième tour), le fils de Jomo Kenyatta, le père de l’indépendance du Kenya, est à la tête d’une nation divisée. Sa victoire a été ternie par le boycott de l’opposition, incarnée par un autre héritier, Raila Odinga. Cette élection aura cependant été marquée par une belle surprise : celle que la justice peut prendre ses responsabilités. La Cour suprême a en effet annulé une première fois la victoire d’Uhuru Kenyatta et demandé que le scrutin se tienne à nouveau, sans en changer l’issue.
Revendications locales, crises nationales
Au Maroc, tout a commencé le 28 octobre 2016 à Al-Hoceima, dans le nord du pays, avec le décès de Mouhcine Fikri, un vendeur de poissons englouti dans une benne à ordures alors qu’il tentait de s’opposer à la destruction de sa marchandise. Très vite, dans le Rif, les manifestations se transforment en mouvement social pour de meilleures conditions de vie. Si le gouvernement multiplie les annonces pour relancer l’économie locale, il mène aussi une vague d’arrestations visant une centaine de personnes. Le roi, Mohammed VI, a limogé en octobre plusieurs responsables, mais les habitants, eux, demandent la libération des leaders de la contestation dite du « Hirak ».
Au Cameroun, la situation dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest n’a cessé de se dégrader tout au long de l’année. La crise, apparue sur des revendications sectorielles des avocats et des enseignants, qui demandent une meilleure prise en compte de leurs spécificités, s’est durcie. A l’intransigeance des autorités ont répondu les premières attaques d’une guérilla demandant l’indépendance de « l’Ambazonie », le territoire revendiqué par les sécessionnistes.
Autre pays en crise d’identité, l’Ethiopie, fédération de neuf régions. C’est dans l’est du pays que « la question des nationalités » est la plus prégnante. On compterait des centaines de morts et près de 700 000 déplacés dans la seule région de l’Oromia après des affrontements entre populations oromo et somali. La colère est aussi forte en zone Amhara, dans le nord-ouest. Depuis 1991, le parti au pouvoir, le FPLT, n’a peut-être jamais été aussi contesté. Présenté comme un modèle de stabilité et de développement, l’Ethiopie apparaît en réalité d’une grande fragilité.
Ces migrants qui inquiètent l’Europe
Il aura fallu attendre la diffusion des images de CNN, le 14 novembre, sur des ventes d’esclaves en Libye pour que les regards, y compris ceux des dirigeants africains et européens, s’attardent enfin sur le sort des migrants qui tentent de rejoindre l’Europe. Les signaux d’alarme avaient pourtant été nombreux auparavant.
Les accords passés, cet été, entre l’UE et la Libye, visant à empêcher les traversées de la Méditerranée, ont été pointés du doigt par de nombreuses ONG, inquiètes du pouvoir accordé par la Commission européenne à Tripoli en matière de contrôle migratoire.
Selon le dernier bilan de l’Office international pour les migrations (OIM), au 17 décembre 2017, 168 314 migrants et réfugiés sont arrivés en Europe par la mer. À la même date en 2016, ils étaient 358 527. Si le flux s’est ralenti, c’est aussi parce que le Niger, pays de transit avant la Libye, a accepté de jouer le rôle de poste frontalier avancé de l’Europe au Sahel.
Le Sahel : une priorité pour la France
Le Sahel est justement l’une des priorités diplomatiques édictées par Emmanuel Macron. Pour le nouveau président français et chef des armées, il s’agit de renforcer la force conjointe du G5 Sahel, qui réunit le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, le Niger et la Mauritanie. L’objectif est de mettre en place une force anti-djihadiste de 5 000 militaires d’ici à mi-2018 afin de stabiliser cette immense zone semi-désertique.
« Le Sahel est une priorité, c’est là que se jouent beaucoup de notre sécurité et une partie de notre avenir », a déclaré Emmanuel Macron lors de son déplacement au Niger, le 22 décembre, devant les soldats de l’opération « Barkhane ». Ces derniers sont environ 4 000, déployés dans ces cinq pays avec pour objectif « d’appuyer les forces armées des pays partenaires dans la lutte contre les groupes armés terroristes et empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région ».
Une année meurtrière pour les casques bleus
L’année 2017 fut particulièrement rude pour les casques bleus. La Monusco, force de l’ONU déployée en RDC, a été victime le 7 décembre de la pire attaque subie par des soldats de l’ONU depuis vingt-quatre ans. Au moins quinze casques bleus tanzaniens ont été tués et 53 autres blessés par des hommes armés à Semuliki, dans la province du Nord-Kivu, dans le nord-est du pays. Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’est déclaré « indigné » face à ce « crime de guerre ».
En Centrafrique, la Minusca est la cible régulière d’attaques par des groupes armés issus de l’ex-Séléka ou des milices anti-balaka : quatorze casques bleus ont été tués en 2017. Le Conseil de sécurité des Nations unies, à la demande d’Antonio Guterres, a voté en novembre l’envoi de 900 casques bleus supplémentaires et le prolongement d’un an de sa mission de paix en Centrafrique pour maîtriser les affrontements ethniques dans le pays.
Mais c’est au Mali que les victimes sont une fois encore les plus nombreuses parmi les soldats de la paix. La Minusma a conservé en 2017 le triste privilège de demeurer la mission de l’ONU la plus meurtrière. Pas une semaine ne s’est déroulée sans qu’un casque bleu ne soit victime d’une mine ou d’une attaque terroriste, alors que le processus de paix entre ex-rebelles et autorités de Bamako n’a connu aucune avancée notable et que les groupes djihadistes étendent leur emprise sur le centre du Mali.