l’athlète saoudinne Kariman Abuljadayel lors des JO de Rio en 2016. / JEWEL SAMAD / AFP

La femme est-elle l’avenir du sport saoudien ? Longtemps exclues du domaine sportif, les Saoudiennes sont en tout cas en train d’y gagner du terrain. Après Philadelphie et Hong Kong, c’est en Arabie Saoudite que les meilleures joueuses de squash au monde disputent, à partir de dimanche 7 janvier, la troisième manche des World Series.

Cet événement est une première au sein d’un pays qui n’avait jusqu’alors jamais accueilli de compétition féminine de squash. « Il a fallu quelques années pour essayer de faire venir un événement féminin en Arabie Saoudite et avec les récents changements que le Royaume traverse, l’autorité générale des sports a salué l’initiative », a déclaré au Monde le président de l’association professionnelle de squash, le Saoudien Ziad Al-Turki, surnommé le « Sultan du squash ».

Une ouverture progressive

Cela ne doit en effet rien au hasard. L’Arabie Saoudite commence à s’ouvrir progressivement à la pratique sportive des femmes. En 2012 à Londres, la judoka Wojdan Shaherkani et l’athlète Sarah Attar avaient été les premières Saoudiennes de l’histoire à participer aux Jeux olympiques. Quatre ans plus tard, l’escouade avait doublé à Rio.

Les autorités ont choisi d’ouvrir à leurs citoyennes les salles de sport ainsi que certains stades. En février 2016, les femmes ont d’abord été autorisées à prendre des licences dans des clubs de gym du pays. Au mois de juillet, le ministère de l’éducation a décidé d’introduire la pratiquer du sport en milieu scolaire pour les jeunes filles. Depuis le 1er janvier, les Saoudiennes peuvent également assister, au sein de sections réservées, à des manifestations sportives dans trois enceintes situées à Jeddah, Dammam et Riyad.

En octobre dernier, la princesse Rima bent Bandar ben Sultan est devenue la première femme à diriger une fédération sportive, la fédération omnisports. Quelques semaines auparavant, les Saoudiennes avaient enfin été autorisées à conduire grâce à un décret signé par le roi Salman.

Ces décisions successives arrivent dans un contexte favorable, celui du plan de développement, « Vision 2030 », porté par le prince héritier Mohammed Ben Salman. Membre de la Choura, l’assemblée consultative, Lina Almaeena, qui a également fondé le premier club de basket saoudien ouvert aux femmes en 2006, se montre pragmatique dans une interview accordé à TV5 Monde lors d’une tournée de ses basketteuses en France.

« La société saoudienne évolue, pas par choix, mais par nécessité »

« La société saoudienne évolue, pas par choix, mais par nécessité. Quand j’ai fondé le club de sport Jeddah United, le sport pour les filles n’était pas très populaire. 13 % de la société civile (hommes et femmes compris) pratique un sport. Le gouvernement voudrait augmenter ce pourcentage à 40 % en 2030 » explique-t-elle.

Le pays peut-il encore se passer de plus de la moitié de sa population ? « L’inclusion sportive des femmes est une progression naturelle pour une société jeune, dont 70 % de la population a moins de 30 ans. On ne peut pas d’un côté encourager la pratique sportive et de l’autre ne pas permettre l’accès aux manifestations sportives », défend Ziad Al-Turki.

À Riyad, une seule joueuse saoudienne participera au tournoi. Puisque son classement ne lui permettait pas de se qualifier autrement, elle a reçu une invitation, saluée sur les réseaux sociaux par Ziad Al-Turki en personne. « Toutes les fédérations sportives locales sont encouragées à augmenter le nombre d’athlètes féminines… espérons que nous verrons plus de femmes représenter l’Arabie Saoudite dans les prochains événements internationaux », lance le patron du squash professionnel installé à Londres.

Un autre élément capital permet d’expliquer ces changements de la condition de la femme saoudienne, qui reste malgré ces avancées sous la tutelle des hommes pour voyager, entrer à l’université et pour nombre d’autres actes (témoigner devant un tribunal ou encore signer un contrat de travail).

« Le prince Salman a compris l’impact global du sport en termes d’image de marque du pays, ayant vu cela mis en œuvre avec succès aux Émirats arabes unis et au Qatar qui ont mis en place bien plus tôt une stratégie d’organisation d’événements sportifs, analyse Mahfoud Amara, professeur en politique et management du sport à l’Université du Qatar, Il envoie le message que l’Arabie saoudite commence une nouvelle page dans sa stratégie de développement, plus ouverte à la modernité et aux normes internationales. »

Une ouverture qui ne se fait pas sans heurts

Mais cette ouverture ne se fait pas sans heurts. Fin décembre, un tournoi d’échecs organisé à Riyad a suscité la polémique à cause du boycott de la double championne du monde en titre, l’Ukrainienne Anna Muzychuk. Cette dernière expliquait notamment « ne pas vouloir porter une abaya et se sentir comme une créature inférieure. » Les dénégations de la Fédération internationale d’échecs, qui précisait que les joueuses ne seraient pas obligées de « porter un hidjab ou une abaya » pendant la compétition, n’y changeaient rien.

Bien qu’aucune joueuse de squash n’ait renoncé à se déplacer en Arabie Saoudite, certaines ont regretté ces restrictions vestimentaires. De quoi agacer Ziad Al-Turki pour qui l’essentiel est ailleurs : « C’est une mauvaise interprétation. Il n’y a pas de dress code, juste des lignes directrices. Ce qui compte le plus pour le squash, c’est d’être le premier sport professionnel à organiser un tournoi dans ce pays. »

L’Algérien Mahfoud Amara partage ce point de vue et s’interroge : « Les acteurs internationaux du sport doivent trancher : leur priorité en Arabie est-elle de promouvoir le sport féminin ou de promouvoir les normes occidentales laïques de la pratique du sport ? »