« Les orientations choisies par Emmanuel Macron pour les armées sont équilibrées »
« Les orientations choisies par Emmanuel Macron pour les armées sont équilibrées »
Propos recueillis par Nathalie Guibert
Le député européen Arnaud Danjean revient sur la prochaine loi de programmation militaire 2019-2025, qui sera présentée en conseil des ministres le 8 février.
La ministre des armées, Florence Parly, au côté d’Arnaud Danjean, qui a piloté la « revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017 », à l’Elysée, le 13 octobre. / CHRISTOPHE ENA / AFP
Dévoilées vendredi 19 janvier à Toulon, les grandes orientations décidées par Emmanuel Macron pour la prochaine loi de programmation militaire 2019-2025 – qui sera présentée le 8 février en conseil des ministres – sont bonnes, à condition que les engagements budgétaires soient vraiment au rendez-vous, estime le député européen (groupe PPE) Arnaud Danjean. Expert des sujets de défense, il a piloté la « revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017 » à la demande du chef de l’Etat.
Face à « l’ère de grandes turbulences » qu’a décrite la « revue stratégique », le président a annoncé qu’il voulait d’abord « consolider les armées » et « les projeter vers l’avenir ». Comment jugez-vous les orientations prises ?
Il y avait deux points auxquels nous prêtions beaucoup d’attention lors de la préparation de la « revue stratégique » et que le président a traités.
Le premier est le rééquilibrage des cinq grandes fonctions stratégiques de l’outil de défense : dissuasion, protection, connaissance-anticipation, intervention, prévention. Cela implique notamment des investissements très concrets, en vue de poursuivre la montée en puissance de la « connaissance et anticipation », c’est-à-dire des moyens pour le renseignement. Pour l’heure, la France a des lacunes qui ont des conséquences très directes sur son autonomie stratégique : il lui manque des avions légers de reconnaissance, des drones, des équipements satellitaires.
Le deuxième point, qui n’était pas forcément évident, et sur lequel le chef d’état-major, François Lecointre, avait insisté, c’est le besoin de régénérer les armées, ce que nous avons traduit par la « soutenabilité » du modèle. Cela concerne les conditions de vie du soldat, jusqu’à ses équipements, et la modernisation des matériels. La prise en compte de la condition militaire était très importante. Si on avait augmenté le budget sans que les soldats en sentent l’impact sur leur quotidien, l’effort aurait été vain. Conforter le soutien est extrêmement important pour durer.
Quand de l’argent frais arrive dans les armées, la tentation habituelle est d’aller vers des équipements très sophistiqués, sur le « haut du spectre » (frégates, blindés lourds…). Les militaires avaient insisté pour que la modernisation signifie consolidation, et le président a annoncé des patrouilleurs, des blindés médians. Cela pouvait être un point de friction, car quand un nouveau pouvoir arrive, il peut avoir la tentation d’annoncer des choses très spectaculaires. Le président a choisi de garder un modèle complet, avec des orientations équilibrées.
Il promet une augmentation de l’effort militaire de plus de 11,5 milliards d’euros d’ici à 2023, est-ce crédible ?
On ne peut qu’être satisfait, par rapport aux tendances inverses des deux précédents quinquennats. Le point de vigilance très important, maintenant, va être la sincérité des engagements budgétaires, jusqu’au bout. Prévoir une « marche » de 3 milliards d’euros en 2023, après le quinquennat, jette un peu de suspicion. Les précédents sont fâcheux, il y a toujours eu une explosion de la loi de programmation au bout de deux ans. Où ira se « venger » Bercy ? Comment gérer la compétition avec les autres ministères moins privilégiés ? Sur les réformes prévues, notamment au sujet de l’indisponibilité des matériels aéronautiques, il va vraiment falloir que le ministère des armées démontre des améliorations concrètes.
Est-ce une bonne chose que le président évoque à peine les « contrats opérationnels », c’est-à-dire le volume d’opérations que les armées doivent réaliser ? Ils étaient largement dépassés, ce qui nourrissait le débat sur la surchauffe des armées…
Il n’y a plus, dans la « revue stratégique » ni dans le discours du président, d’obsession du contrat opérationnel. Il y avait beaucoup de prises de bec entre les armées, et entre les armées et les politiques, sur ce sujet, les premières disant qu’on les avait engagées en opérations 30 % au-delà des ressources qui leur étaient allouées.
La tentation, quand le budget augmente, est d’augmenter aussi les contrats, en disant que les armées doivent faire plus. Emmanuel Macron garde le contrat constant, soit « outre les missions permanentes, être capable de s’engager dans la durée et simultanément sur trois théâtres d’opérations, avec la capacité d’assumer le rôle de nation-cadre sur un théâtre et d’être un contributeur majeur au sein d’une coalition ».
François Hollande avait eu un peu facilement recours à l’armée, il y a eu une fuite en avant opérationnelle. On injecte maintenant de l’argent à contrat constant, donc l’effort va aller à la consolidation des armées. La référence permanente du président est celle d’une approche globale avec la diplomatie, le développement et les armées, inscrites dans ce panorama. La fonction de prévention des crises par les armées est confortée, ce qui signifiera une utilisation optimale des forces prépositionnées à l’étranger et dans les DOM-COM.
Le volontarisme européen tous azimuts du président est-il crédible ?
Quelques mois après son discours de la Sorbonne, et après la « revue stratégique » qui insiste sur la coopération, il va falloir passer à la vitesse supérieure. Paris doit d’abord faire de la pédagogie : nos partenaires n’ont pas encore compris le sens de toutes les initiatives lancées, il y a encore beaucoup de questions et de doutes. Les chancelleries et les états-majors commencent à se parler, mais, à Bruxelles, mes collègues parlementaires n’ont encore rien vu venir.
Ensuite, il faut entrer dans la mise en œuvre. Nos partenaires ont compris qu’on était prêt à s’affranchir des cadres institutionnels pour mettre de la flexibilité dans les coopérations européennes. Cela plaît beaucoup aux Britanniques, moins aux Allemands. De plus, on dit qu’on sera tout à la fois les bons élèves de l’OTAN, de l’UE, et prêts à faire plein de choses en dehors : il va falloir faire des choix, on ne pourra pas alimenter à bon niveau tous ces partenariats. Il faut des réponses aux vraies questions posées sur les dossiers du futur système de combat aérien, du drone européen, du blindé du futur, quant au choix des industriels, du pays leader.