« Fairy Tail », ou la preuve que la magie opère dans le manga
« Fairy Tail », ou la preuve que la magie opère dans le manga
Par Pauline Croquet
Deuxième série manga la plus vendue en France, le phénomène « Fairy Tail » fait l’objet d’une exposition au Festival d’Angoulême.
Au Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême, qui se tient du jeudi 25 au dimanche 28 janvier, Hiro Mashima fait figure de pionnier. Une exposition est consacrée cette année à son manga Fairy Tail : c’est la première fois qu’une série japonaise actuelle, aussi populaire et grand public, est mise à l’honneur dans la programmation de la manifestation.
Achevée au Japon l’été 2017, cette grande saga étalée sur soixante-trois tomes connaît son crépuscule en France ; les lecteurs français découvriront, à la fin du printemps, le dénouement des aventures de Natsu, Lucy et tous leurs amis mages.
Fairy Tail, qui s’amuse de la proximité des termes anglais fairy tale (conte de fées) et tail (la queue), prend vie au royaume de Fiore, où certains de ses habitants pratiquent la magie. Ces derniers se regroupent dans des guildes, des communautés qui tiennent lieu de véritables familles pour les mages. Fairy Tail est d’ailleurs le nom de l’une des magiciennes les plus réputées.
Parue à partir de 2008 dans l’Hexagone, Fairy Tail est la deuxième série manga la plus vendue en France, derrière le mastodonte One Piece. En août 2017, au moment de l’épisode final au Japon, on dénombrait 7,6 millions de tomes écoulés en France. Et plus de 64 millions dans le monde, notamment à Taiwan, aux Etats-Unis et en Europe de l’Ouest.
« Même si elle marche très bien dans son pays de naissance, avec plus de 40 millions de tomes vendus, Fairy Tail a connu en proportion plus de succès en France, estime Mehdi Benrabah, le directeur éditorial de Pika, la maison d’édition française de la série. L’un de ses gros atouts est d’avoir été conçue dans un univers de fantasy avec des codes qui s’écartent des références culturelles asiatiques, mais plus proches du lectorat européen. »
Un manga porteur de valeurs
« Fairy Tail » propose une galerie de plusieurs dizaines de personnages. / Hiro Mashima / Kodansha Ltd
Dragons et sorts magiques sont, en effet, à l’honneur dans l’intrigue. Hiro Mashima cite, parmi ses inspirations, Le Seigneur des anneaux, de J. R. R. Tolkien, ou les films d’animation de Hayao Miyazaki. Mais aussi des jeux vidéo. « Je suis un grand fan de Dragon Quest, Final Fantasy, etc. », confie-t-il. Fairy Tail emprunte également beaucoup à Monster Hunter, une saga de chasse aux créatures très populaire au Japon, et dont il signa une adaptation en manga (Monster Hunter Orage, Pika Edition).
Pour autant, Fairy Tail reste un pur shonen, nom donné au genre de manga d’aventures initiatiques — et souvent bourrés d’humour — pour jeunes adolescents. « J’ai été bercé par beaucoup d’œuvres shonen des années 1990, qui représentent pour moi une forme d’Age d’or des mangas pour adolescents », explique le dessinateur, de passage au Festival d’Angoulême pour rencontrer son public.
Pour Stéphane Ferrand, ancien directeur éditorial de Glénat et commissaire de l’exposition, « cette série sait parfaitement décliner les ingrédients du shonen : un héros fédérateur, des quêtes, de nombreuses valeurs et la mise en avant du travail d’équipe pour gagner ». Pour le spécialiste, « le shonen est un des rares genres de BD à conserver cette résonance positive et à être aussi porteuse de valeurs. Même si les histoires peuvent paraître naïves, ces lectures sont essentielles pour la construction de la jeunesse. »
Dès sa sortie au Japon, il y a plus de onze ans, Fairy Tail se frotte à des concurrents de taille, installés depuis plusieurs années : One piece, Naruto ou encore Full Metal Alchemist. « Je vous mentirais si je vous disais que je ne les considérais pas comme des rivaux à l’époque, admet Hiro Mashima. Ces séries étaient de grandes références. Je faisais mon possible pour ne pas les regarder. »
Poitrines imposantes et maillots de bain
Pour ses amateurs, la force de Fairy Tail réside avant tout dans sa galerie de plusieurs dizaines de personnages. « Ils ont un look et un style bien particuliers, de la personnalité. décrit Mehdi Benrabah, chez Pika. Chacun a un passif et des liens spéciaux avec les autres. » Un aspect essentiel pour la réussite d’un manga, selon l’auteur qui voulait des héros « attractifs et séduisants ».
Hiro Mashima estime toutefois n’avoir pas totalement réussi le « thème de l’ennemi » : « Je ne suis peut-être pas allé aussi loin que ce que j’aurais voulu. J’aurais aimé créer des personnages antagonistes, au fond beaucoup plus mauvais. » Les détracteurs de Fairy Tail lui reprochent, en effet, d’être trop clément et repentant avec ses personnages, par exemple, quand il s’agit de les faire mourir.
« En dessinant mes personnages, je finis toujours par ressentir une forme de sympathie pour eux. Travailler des méchants plus méchants est un de mes objectifs pour la suite. »
Ezra est l’héroïne la plus forte de « Fairy Tail ». / Hiro Mashima / Kodansha Ltd
Fairy Tail est également réputé pour son nombre important de protagonistes féminins de premier plan, à l’image de la puissante mage Ezra, qui est parmi les favorites des lecteurs. « C’était une volonté de ma part d’insérer plus de personnages féminins que la moyenne des mangas actuels. J’ai autour de moi beaucoup de femmes fortes », raconte l’auteur. « Lucy est mise autant en avant que Natsu, et ce dès le début de l’histoire », souligne Stéphane Ferrand.
La représentation physique de ses héroïnes fait pourtant souvent grincer les dents de certains observateurs, qui y voient une envie de faire plaisir à un jeune lectorat masculin : la plupart d’entre elles sont affublées de poitrines imposantes et combattent régulièrement en maillot de bain. Mashima n’hésite pas, non plus, à proposer régulièrement des scènes de bain avec des nus dispensables pour l’intrigue principale.
Succès éditorial indéniable, Fairy Tail n’en demeure pas moins l’une des grosses séries les plus vertement critiquées. « La plupart des reproches que l’on fait à Mashima, notamment sur le manichéisme et la narration qui s’essouffle parfois, sont des reproches que l’on adresse au style shonen en général », balaie Stéphane Ferrand, le commissaire de l’exposition.
La personnalité du dessinateur participe, elle aussi, au dénigrement. Très ouvert à son public quand ses confrères restent généralement plus en retrait, Hiro Mashima, 40 ans, cultive l’image d’un mangaka internationalisé au style branché.
« J’ai eu assez vite conscience que mes mangas n’étaient pas lus que par des Japonais. J’ai par exemple arrêté de rechercher un humour qui ne fonctionnerait qu’au Japon. J’adapte aussi les formes données à mes bulles pour qu’on puisse y glisser facilement la traduction en alphabet romain. »
Remettre sa carrière en jeu
En revanche, le coup de crayon de Mashima prête beaucoup moins à débat. « Il a une facilité pour représenter la magie, les affrontements et mettre de l’intensité. La difficulté du manga est d’être une bande dessinée uniquement en noir et blanc : il y est parfois dur d’être créatif, notamment dans les récits fantasmagoriques. La solution trouvée par Mashima réside dans la composition. Il sait utiliser les cases, déborder, écraser, pour montrer la puissance de la magie », s’enthousiasme Stéphane Ferrand.
« Fairy Tail » / Hiro Mashima / Kodansha Ltd
Hiro Mashima a parallèlement développé un sens inné du détail, que ce soit à travers les clins d’œil et les gags qu’il adresse à ses lecteurs, que dans les décors en général, souvent riches, alors que les mangakas sont soumis à des délais très serrés. L’architecture varie sans cesse en arrière-plan. Le royaume de Fiore peut être tantôt haussmannien, victorien, Art déco, médiéval. Une richesse largement mise en avant dans l’exposition qui lui est consacrée à Angoulême.
Déjà repéré pour son talent en 1999 avec sa toute première longue série, Rave, qui n’a pas connu le retentissement de Fairy Tail, Hiro Mashima est très attendu par les lecteurs de manga pour sa nouvelle saga. Un projet tenu secret mais que le dessinateur entend entamer au plus vite. Pour l’instant, l’heure est aux discussions avec les éditeurs.
« Je ne peux pas donner de détails, mais je peux vous dire que ce sera un nouveau challenge, je suis prêt à remettre ma carrière en jeu avec ce projet. »
Exposition « Fairy Tail », Quartier jeunesse, chais Magelis, à Angoulême du 25 au 28 janvier 2018.