« L’Union africaine doit être plus audacieuse »
« L’Union africaine doit être plus audacieuse »
Propos recueillis par Joan Tilouine (Addis-Abeba, envoyé spécial)
Pour le ministre des affaires étrangères angolais Manuel Domingos Augusto, l’institution doit « se moderniser » et sortir de sa « léthargie ».
L’Angola n’a pas eu le temps de se remettre du départ de José Eduardo dos Santos, qui a dirigé le pays d’une main de fer durant 38 ans. Depuis son investiture en septembre 2017, le nouveau président Joao Lourenço a multiplié les annonces de réformes et les coups d’éclat en limogeant des caciques de l’ancien régime, dont les enfants dos Santos qui avaient le contrôle sur une importante partie de l’économie nationale.
Sur le plan de la diplomatie africaine, négligée par l’ancien chef d’Etat, cette puissance régionale préoccupée par la crise politique en cours chez son voisin congolais entend jouer un rôle plus important à l’échelle du continent, selon le ministre des affaires étrangères, Manuel Domingos Augusto, présent à Addis-Abeba pour le 30e sommet de l’Union africaine (UA) qui doit se tenir dimanche 29 et lundi 30 janvier.
L’Angola vient d’obtenir, à Addis-Abeba, un siège au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Pourquoi cette candidature ?
Manuel Domingos Augusto De par notre histoire, nous avons acquis une expérience en matière de résolution des conflits. Depuis la fin de la longue guerre civile [1975-2002], la diplomatie angolaise met tout en œuvre pour assurer une certaine stabilité dans la région où les crises politiques et les conflits ne manquent pas. Intégrer à nouveau le Conseil de paix et de sécurité, où nous avons déjà siégé à deux reprises, est une opportunité pour partager cette expérience et en faire profiter le reste de l’Afrique.
En tant que membre de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), partagez-vous les critiques formulées par ce bloc régional à l’encontre de la réforme institutionnelle de l’UA et plus particulièrement sur les méthodes du président Paul Kagamé ?
Nous soutenons la réforme. La proposition d’instaurer une taxe de 0,2 % sur les importations venant d’autres continents est un détail. Sur le fond, l’Angola reconnaît que l’UA a besoin de s’autofinancer et de moderniser ses institutions pour les rendre plus efficaces. Certains reprochent à Paul Kagamé le manque de concertation. Mais pourquoi s’asseoir à 55 pour des palabres sans fin ? Il faut une UA plus moderne et plus audacieuse, qui soit parfois représentée par des pays leaders qui parlent au nom de l’Afrique.
L’UA ne peut pas rester dans la léthargie. Le président Joao Lourenço, qui s’est entretenu le 24 janvier avec Paul Kagamé à Davos, va le dire lors du sommet des chefs d’Etat de l’UA. La dernière fois qu’un président angolais a participé à un sommet de l’UA remonte à 2010. C’est la démonstration d’une rupture et d’une volonté de l’Angola de revenir sur le devant de la scène politique africaine.
Quelle est la position de l’Angola sur la crise politique en cours en République démocratique du Congo (RDC), où le président Joseph Kabila, dont le dernier mandat s’est achevé le 19 décembre 2016, se maintient au pouvoir ?
La RDC est la mère de toutes les crises car ce qui s’y passe affecte toute la région des Grands-Lacs. C’est toujours pour nous une source de préoccupation que de voir la crise politique se superposer à une prolifération de milices et de mouvements rebelles. Nous pensons qu’il y a clairement une priorité : la tenue des élections le 23 décembre 2018, date fixée par la Commission électorale.
Ce scrutin présidentiel mettra-t-il fin à la longue crise politique ?
Il ne mettra pas un terme à tous les problèmes de la RDC, mais il constituera une étape importante pour sa stabilité. Il faut la légitimation d’un nouveau gouvernement. Le mandat de Joseph Kabila est terminé. Il doit donc partir dans le cadre d’un processus démocratique.
Pour l’instant, je constate que le président Kabila n’a pas clairement déclaré qu’il comptait quitter le pouvoir. Les élections à venir sont une étape et un défi logistique autant que financier, car leur budget s’élève à près de 500 millions de dollars [402,3 millions d’euros]. La décision de Joseph Kabila d’autofinancer le budget électoral peut néanmoins susciter quelques doutes.
Quelles étaient les préoccupations du président angolais, Joao Lourenço, et de son homologue du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso, lors de la réunion tripartite qui s’est tenue le 9 décembre 2017 à Brazzaville ?
Ils se sont parlé franchement. Les chefs d’Etat du Congo-Brazzaville et d’Angola ont clairement dit qu’ils étaient disposés à contribuer à mettre un terme à la crise politique en RDC. Un second mini-sommet sera prochainement organisé à Kinshasa. Après deux mandats, l’Angola a quitté la présidence de la Conférence internationale sur la région des Grands-Lacs en octobre 2017. Désormais, c’est le Congo-Brazzaville qui préside cette organisation, même si, dans ce dernier pays, il y a des difficultés politiques qui nous préoccupent et que nous tentons de résoudre avec le président Denis Sassou-Nguesso.
Le président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, candidat à la présidentielle censée se tenir avant juillet, a été reçu le 12 janvier par Joao Lourenço. Chacun dans leur style, ils ont conquis le pouvoir et succèdent à des « dinosaures », Robert Mugabe et José Eduardo dos Santos, tout en restant dans le cadre de partis-Etats issus de mouvements de libération. La Zanu-PF et le MPLA sont-ils en train d’opérer leur mue ?
Je crois que ces remplacements sont naturels et que ces partis se modernisent, à leur rythme. Les départs de Robert Mugabe et José Eduardo dos Santos me semblent être des séquences logiques. Et une nouvelle génération de leaders, pas forcément jeunes d’ailleurs, émerge au sein de ces partis libérateurs. Ils préservent des structures héritées des mouvements de libération devenus des partis politiques forts tout en assurant des transitions. Ce qui permet de résoudre des crises sans intervention extérieure. Les liens entre la Zanu-PF et le MPLA, de même qu’avec d’autres mouvements de libération d’Afrique australe, perdurent pour toujours car tous sont motivés par le maintien de la paix. La SADC est d’ailleurs la région la plus stable du continent.
En Angola, le président sortant, José Eduardo dos Santos, va-t-il se maintenir à la tête du MPLA ?
Il avait annoncé quitter la vie politique en 2018. Nous sommes en 2018. José Eduardo dos Santos est un homme de parole. Il va donc quitter la présidence du MPLA après avoir convoqué un congrès extraordinaire du parti. C’est un processus normal.
Le parti est-il divisé entre des partisans minoritaires de M. dos Santos et ceux qui soutiennent M. Lourenço ?
Le parti n’est pas divisé mais il y a des divergences d’opinion sur les méthodes de Joao Lourenço. Il a rapidement entamé des réformes et les gens ne s’y attendaient pas. Or la mauvaise situation économique nécessitait des prises de décision rapides.
Quelles sont les priorités pour redresser le pays ?
Il est urgent de créer un nouveau climat d’affaires. L’Angola veut attirer des investisseurs étrangers et rompre avec des pratiques d’autrefois comme la corruption et l’évasion massive des capitaux à l’étranger. Nous sommes attachés à l’idée d’ouvrir le pays et de faciliter l’accès à son économie en fournissant par exemple des visas à l’arrivée. L’Angola qui s’était finalement isolé, doit se reconnecter pleinement à l’économie globale. Au Forum de Davos, le président Lourenço s’est entretenu avec Christine Lagarde, la directrice du Fonds monétaire international, pour expliquer ses réformes et son ambition. Car la transition qui s’est opérée en Angola a surpris tout le monde. Dans le bon sens. Et il faut en profiter pour renouer avec des partenaires qui avaient fini par tourner le dos à l’Angola.
L’Union africaine a déclaré 2018 année de la lutte contre la corruption. Comment comptez-vous lutter contre ce fléau qui a pris des proportions démesurées sous l’ancien régime dos Santos ?
Les plus riches qui ont placé leurs capitaux en dehors de l’Angola doivent les ramener. Ce n’est pas négociable. On souhaite leur donner une chance en rapatriant tous leurs fonds et leurs actifs dans notre pays. Nos services vont renforcer la coopération avec des partenaires étrangers pour mener des enquêtes et négocier le rapatriement des fonds. Nous n’épargnerons personne et je crois qu’il est temps de prendre des mesures qui semblent dures mais qui pourraient être historiques. Contrairement à ce que certains pensent, Isabel dos Santos [nommée à la tête de la société pétrolière nationale, Sonangol, en 2016] n’a pas été limogée car elle est la fille de l’ancien chef d’Etat. Sa gestion et ses résultats n’étaient pas satisfaisants et certains opérateurs pétroliers s’apprêtaient à quitter le pays.