Alstom-Siemens : une plainte pour « négligence » qui vise l’Etat
Alstom-Siemens : une plainte pour « négligence » qui vise l’Etat
Par Jean-Michel Bezat
L’association anticorruption Anticor reproche au ministère de l’économie et des finances d’avoir renoncé à un gain financier d’au moins 350 millions d’euros lors de la prise de contrôle du français Alstom par l’allemand Siemens.
Dans le mariage du groupe ferroviaire français Alstom avec l’allemand Siemens, l’Etat a-t-il perdu 350 millions d’euros ? C’est la certitude de l’association anticorruption Anticor. Son président, Jean-Christophe Picard, a déposé au parquet national financier, mardi 30 janvier, une plainte « contre X » pour « négligence par personne dépositaire de l’autorité publique », confirmant une information du Canard enchaîné du mercredi 31 janvier. Elle réclame l’ouverture d’une enquête.
En fait, ce sont les services de l’Etat, et notamment le ministère de l’économie et des finances, qui sont visés par l’association, déjà partie civile dans plusieurs dossiers politico-financiers. En l’espèce, Bercy n’aurait pas géré les deniers publics au mieux, selon Anticor, puisqu’il a renoncé à un gain important et quasiment sûr.
Lors de l’opération Alstom-Siemens, en 2017, le gouvernement aurait pu faire jouer son droit d’acheter 20 % d’actions Alstom détenues par Bouygues. Jusqu’en octobre, l’Etat possédait en effet cette part du capital du groupe français grâce à des actions prêtées par le géant du BTP depuis 2014 dans le cadre du rachat de la branche énergie d’Alstom par le conglomérat américain General Electric. Un moyen pour la France d’éviter un dépeçage d’Alstom en faisant de l’Etat son deuxième actionnaire.
« Utilisation frauduleuse des fonds publics »
L’accord prévoyait que l’Etat avait une option d’achat sur ces 43,8 millions d’actions jusqu’au 17 octobre 2017, avec à la clé une plus-value potentielle de 8 euros par action (soit au minimum 344 millions d’euros) après leur revente par le gouvernement, calcule Anticor. Mais le 26 septembre, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait annoncé qu’il n’exercerait pas ce droit. Devant les parlementaires, il avait nié toute négligence et toute « utilisation frauduleuse des fonds publics ». Selon lui, Siemens avait fait d’une sortie de l’Etat français une condition sine qua non pour se marier avec Alstom Transport.
A l’initiative du montage de 2014, son prédécesseur, Arnaud Montebourg, avait aussitôt souligné le risque de poursuites pénales à l’encontre de M. Le Maire. Il avait cité le précédent de l’ex-ministre de l’économie, Christine Lagarde, condamnée en décembre 2016 par la Cour de justice de la République pour « négligence » dans l’arbitrage controversé au profit de l’homme d’affaires Bernard Tapie. Une jurisprudence que le président d’Anticor compte bien voir renforcer avec cette affaire Alstom.
De son côté, Bouygues va se désengager d’Alstom Transport dans le courant de l’année en faisant une belle plus-value. Détenteur de 28 % du capital, il n’aurait plus que la moitié du nouvel ensemble franco-allemand lors du closing, fin 2018, et pas un siège d’administrateur. Ce n’est pas la politique du groupe que d’être un partenaire dormant, et il devrait réinvestir le produit de cette cession dans ses trois métiers (bâtiment-travaux publics, téléphonie mobile et médias).
En attendant, l’absorption par le conglomérat allemand ne passe toujours pas auprès des salariés. Alors que le Comité de groupe européen d’Alstom doit se prononcer dans quelques jours sur la prise de contrôle du fabriquant de TGV par Siemens, l’intersyndicale (CFDT, CFE-CGC, CGT, FO) d’Alstom France a sans attendre opposé, mardi 30 janvier, un veto unanime à l’opération. Un avis consultatif qui n’empêchera pas l’opération d’aboutir.