« Une saison en France » : dix mois pour prendre racine
« Une saison en France » : dix mois pour prendre racine
Par Mathieu Macheret
Le cinéaste Mahamat-Saleh Haroun peint avec pudeur les deuils et les espoirs d’un père migrant.
Le nouveau film du Tchadien Mahamat-Saleh Haroun (Un homme qui crie, 2010 ; Grigris, 2013), le premier tourné en France, où le cinéaste a élu domicile, est une œuvre fragile, sur le fil du rasoir, difficile à aborder autrement qu’à travers les fortes tensions qui la sous-tendent. D’abord peut-être parce qu’elle s’attaque à l’un des sujets cruciaux de notre époque, la situation des « migrants », avec le souci de contourner les clichés médiatiques et scénaristiques (misérabilisme, alarmisme, constat d’impuissance) qui ont fini par le recouvrir. Haroun ne se penche pas sur la traversée en elle-même, mais sur le moment d’après, le temps long de la demande d’asile, où l’enracinement sur le territoire est à la fois favorisé par la lenteur du processus administratif et empêché par l’incertitude de ses décisions.
Une saison en France se présente donc comme la chronique d’une famille prise dans ce moment particulier, entre rêves d’installation et délogements précipités. Ayant fui la guerre en Centrafrique, Abbas (Eriq Ebouaney) vit en France, aux portes de Paris, avec ses deux enfants. Si le souvenir de la traversée génère encore son lot de cauchemars (sa femme n’y a pas survécu), l’existence de cet ancien professeur de français semble reprendre son cours : ses enfants vont à l’école, lui travaille sur les marchés et noue une relation amoureuse avec Carole (Sandrine Bonnaire), une maraîchère aux origines polonaises. Mais en dépit de ses démarches auprès des services administratifs, sa régularisation se voit systématiquement retoquée. Abbas court les appartements de banlieue, atterrit entre les mains d’un marchand de sommeil et glisse peu à peu dans la clandestinité. L’exil se perpétue dans cette course interminable.
Le film affiche ainsi un double objectif : montrer, d’une part, les attaches qui se créent presque « naturellement » entre les réfugiés et leur terreau d’accueil ; dénoncer, d’autre part, l’inanité d’un système administratif qui semble voué à fabriquer des drames humains (le désespoir d’Etienne, ami et compagnon de traversée d’Abbas, qui tente de se suicider). Deux projets dont la conjugaison définit l’équilibre précaire de l’ensemble. Haroun se doit, en effet, d’exposer les difficultés que rencontrent les réfugiés en terre étrangère et emprunte, pour cela, le schème nécessairement didactique (et donc un peu raide) de l’engrenage social.
Mais à cette pente appuyée, le cinéaste oppose une forme de résistance : la temporalité ouverte de la vie et de ses moments particuliers. A savoir la possibilité, pour les personnages, d’accéder à une forme de quotidienneté : border ses enfants, leur chanter une berceuse, déguster un bon repas, retrouver une femme aimée, passer la nuit dans ses bras… Le film regorge de ces instants magnifiques (la scène merveilleuse de l’anniversaire de Carole), dont la banalité n’est si bouleversante que parce qu’elle est conquise, disputée au malheur. Du temps libre, purement gratuit, que n’importe quelle démonstration sociale aurait cherché à gommer. Haroun les privilégie et prouve par là même sa qualité de grand cinéaste.
Un récit affectif
La mise en scène, pudique et patiente, contribue à ouvrir de telles brèches au cœur du récit, en laissant les plans respirer, en ouvrant le champ autour des comédiens – montrant aussi la périphérie rugueuse d’un Paris inaccessible. Rien n’est moins cadenassé, moins déterministe et plus ouvert que cette approche, soucieuse de ne pas contraindre les corps (souvent filmés « en pied »). Haroun n’en oublie pas pour autant les visages, auxquels il accorde des gros plans, rares et précieux, d’une douceur humaine infinie. Car derrière le drame des réfugiés se cache également un récit affectif : celui d’une famille qui parvient à se recomposer, même temporairement, par-delà les accidents du deuil et de la clandestinité.
Que cette histoire débouche, lors d’un final bouleversant, sur les dunes désolées de la « jungle » de Calais, alors démantelée, et le fil amoureux est soudain suspendu par la sidération devant l’étendue d’un désastre plus vaste, dont le vide vertigineux est peut-être le signe ultime de notre époque.
Une saison en France, de Mahamat-Saleh Haroun
Durée : 01:39
Film français et tchadien de Mahamat-Saleh Haroun. Avec Eriq Ebouaney, Sandrine Bonnaire, Aalayna Lys, Ibrahim Burama Darboe, Bibi Tanga (1 h 37). Sur le Web : www.advitamdistribution.com/films/une-saison-en-france