En octobre 2011, un internaute avait déposé plainte contre le réseau social. Il l’accusait d’avoir censuré son compte à cause du tableau de Gustave Courbet. / Francois Mori / AP

Pour les uns, c’est une question de liberté d’expression. Pour les autres, un simple prétexte pour « attirer l’attention ». Jeudi 1er février, au palais de justice de Paris, les avocats de Frédéric Durand-Baïssas, particulièrement loquaces face aux micros et caméras des journalistes, affrontaient ceux de Facebook. Ils reprochent au réseau social d’avoir supprimé le compte de leur client après qu’il y eut posté le tableau de Gustave Courbet L’Origine du monde.

Sept années de procédures sur la forme

L’affaire commence en 2011. Au mois de février, Frédéric Durand-Baïssas, professeur des écoles, poste le tableau représentant un sexe féminin sur son profil Facebook. Peu après, son compte est désactivé pour non-respect des règles d’utilisation de la plate-forme. L’internaute demande qu’il soit réactivé. Sans succès. Quelques mois plus tard, il décide d’attaquer Facebook en justice pour atteinte à la liberté d’expression.

Facebook répond alors sur la forme de la plainte, expliquant que ce sont les tribunaux de l’Etat de Californie et non les tribunaux français qui seraient compétents pour trancher ce litige. Un argumentaire rejeté par le tribunal de grande instance de Paris en mars 2015, puis en appel l’année suivante.

Des longueurs qui agacent Me Stéphane Cottineau, avocat de Frédéric Durand-Baïssas :

« Facebook, c’est Tartuffe. Depuis le début de la procédure, ils évitent le vrai débat, ils n'en ont jamais eu le courage. Cela fait six ans qu’on attend des explications, et que Facebook se concentre à la place sur d’autres questions dont on ne devrait même pas discuter. »

« Une attaque contre la démocratie »

Pour l’avocat, le « vrai débat », c’est d’abord celui de la liberté d’expression :

« Censurer ce tableau, qui est aussi un hymne à la liberté de créer, c’est une attaque contre la démocratie, contre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Si Facebook a une vision différente de celle qui est contenue dans les textes de loi sur la liberté d’expression, il n’a pas à l’imposer. »

Me Cottineau dit avoir déjà reçu d’autres témoignages d’internautes censurés. Récemment s’est présenté à son cabinet un homme auteur d’une affiche publicitaire contenant le tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple. Son compte a été supprimé au motif que le sein nu de Marianne avait été jugé comme étant du « contenu pour adulte ».

Un plaignant « meurtri, heurté »

Les avocats évoquent alors l’autre préjudice subi par Frédéric Durand-Baïssas. « Il avait huit cents amis sur Facebook, huit cents amis qui se sont demandé pourquoi son compte avait été supprimé, dit son autre conseil, Me Marion Cottineau-Jousse. Qui se sont dit que M. Durand avait peut-être des mœurs douteuses, qui lui ont demandé, je cite, s’il traînait dans “des affaires louches”. » Un comble pour ce professeur en école maternelle sans histoires, « passionné d’art qui ne faisait que transmettre sa passion avec un tableau ». « Il a été pointé du doigt, meurtri, heurté, dit l’avocate. Comment expliquer après ça à ses huit cents amis qu’on est quelqu’un de bien ? »

Pour réparer ce préjudice, les avocats réclament 20 000 euros de dommages et intérêts à Facebook. L’entreprise demande, elle, 1 euro symbolique, pour « atteinte à son image et à sa réputation ». Selon l’une des avocates du réseau social, la plainte de Frédéric Durand-Baïssas serait en effet « abusive ». « Il n’y a pas de préjudice, ce n’est qu’un prétexte fallacieux pour attirer l’attention », lance-t-elle, avant que sa collègue n’ajoute, plus sarcastique :

« La preuve, c’est que peu de temps après la suppression du compte, M. Durand en a créé un deuxième, sous le pseudonyme “Trouduc”. Ses amis, il les a récupérés. Ses contenus, il continue à les poster. Parmi eux, on trouve notamment plusieurs clichés où l’on aperçoit “L’Origine du monde”. »

De « la différence entre l’art et la pornographie »

Par ailleurs, selon les avocates du réseau social, le compte n’a été supprimé qu’en raison de l’utilisation d’un pseudonyme, à l’époque contraire aux règles d’utilisation de Facebook.

« Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir supprimé son deuxième compte, qui est aussi sous pseudonyme ; pourquoi avoir laissé le premier actif deux ans et demi, et l’avoir supprimé subitement après que M. Durand a posté L’Origine du monde ? », s’insurge Me Cottineau. Silence de Facebook.

Le réseau social plaide tantôt le hasard de la situation et joue le reste du temps sur les inconnues qui restent au tableau. La plate-forme ne fournissant pas les archives du compte Facebook du plaignant, impossible de vérifier si celui-ci a bien posté le tableau. « Trois témoins attestent de ce fait, et Facebook n’a jamais porté plainte pour faux témoignage », ironise l’avocat de Frédéric Durand-Baïssas à ce propos. « [Mon client] n’a pas voulu monter un “coup” contre Facebook. »

La décision ne sera rendue qu’en mars. D’ici là, les avocats du plaignant recommandent aux modérateurs de Facebook « d’apprendre la différence entre l’art et la pornographie. » Et appellent tous les internautes à poster eux aussi, L’Origine du monde sur leur propre compte.