Les commentaires des médias polonais sont comparés à ceux de la campagne antisémite menée de Wladislaw Gomulka, premier secrétaire du comité central du Parti communiste, en 1968. / Matthias Schrader / AP

Après les députés, les sénateurs polonais ont voté, dans la nuit du mercredi 31 janvier au jeudi 1er février, une loi sur la Shoah, destinée à défendre l’image du pays. Pour entrer en vigueur, la loi doit encore être signée par le président polonais, Andrzej Duda.

Cette loi rend passible de peines allant jusqu’à trois ans de prison le fait de dire ou de laisser entendre que la Pologne porte une part de responsabilité dans les crimes contre l’humanité commis par l’Allemagne nazie. L’un des objectifs de ce texte, porté par le parti Droit et Justice (PiS), est d’empêcher l’usage de l’expression « camp de la mort polonais », un raccourci qui exaspère le pays.

Le vote de cette loi a provoqué la colère de l’ancienne ministre des affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni, rapporte le quotidien israélien Haaretz : pour elle ce texte « inacceptable est un crachat à la figure d’Israël » auquel « Israël doit répondre fermement et présenter les documents prouvant les crimes des Polonais ».

Haaretz s’attarde sur le climat qu’a créé l’examen de cette loi, avec de nombreux dérapages dans les médias polonais. Ainsi Marcin Wolski, le responsable de la chaîne publique TV2, s’est emporté lundi, demandant s’il ne valait pas mieux parler de camps d’extermination « juifs » plutôt que « nazis » : « qui s’y occupait des fours crématoires ? », a-t-il hasardé. Il faisait référence aux sonderkommandos constitués par les SS et composés de déportés juifs, qui étaient chargés d’accompagner les victimes jusqu’aux chambres à gaz, d’en sortir les corps puis de les brûler. Piotr Nisztor, journaliste à la radio publique, a pour sa part suggéré que les Polonais soutenant la position israélienne devraient renoncer à leur nationalité polonaise, rappelle encore Haaretz.

Crise diplomatique

Le chef du parti centriste d’Israël Yesh Atid, Yaïr Lapid, s’est également élevé contre le texte, rappelle le Jerusalem Post :

« Je condamne fermement cette nouvelle loi, qui tente de nier la complicité polonaise dans l’Holocauste. Celui-ci a été conçu en Allemagne, mais des centaines de milliers de Juifs ont été tués sans avoir jamais rencontré un soldat allemand. Il y a eu des camps de la mort polonais et aucune loi ne peut rien y changer. »

Une remarque qui a déclenché une crise diplomatique : l’ambassade de Pologne à Tel-Aviv lui a répondu sur Twitter, le renvoyant vers la mise au point de l’International Holocaust Remembrance Alliance sur les « camps de la mort polonais » : « Vos affirmations insoutenables montrent à quel point l’éducation à l’Holocauste est nécessaire, même ici en Israël. »

De son côté, le Washington Post rappelle qu’en mai 2012, le président Barack Obama avait été à l’origine d’une autre crise diplomatique avec Varsovie en parlant des « camps polonais de la mort » à propos d’un camp d’extermination nazi dans un discours d’hommage posthume à un officier polonais.

Timing malheureux

Le journal américain insiste également sur le timing malheureux du vote par la Chambre basse du Parlement à Varsovie, vendredi, jour du 73e anniversaire de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau et la veille de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.

Même observation dans le New York Times, qui trouve « déconcertante » la date retenue. « Mais il est indéniable que les Polonais ont été directement ou indirectement complices des crimes commis sur leur terre, et que des Polonais ont commis des pogroms, pendant et après la guerre », ajoute le quotidien. Avant de rappeler :

« Le gouvernement polonais n’est pas le premier à vouloir réécrire l’histoire en sa faveur. L’URSS a longtemps fait référence aux “victimes du fascisme”, évitant la référence à l’identité juive des victimes, tandis que l’Autriche s’est longtemps présentée comme “premier pays victime des nazis”, niant toute responsabilité dans les crimes du régime. »

Selon Halina Birenbaum, une survivante de l’Holocauste interrogée par le site israélien Ynet, cette loi repose surtout sur une « incompréhension de la tragédie juive ». Elle ajoute que les Polonais ne faisaient pas partie de l’appareil de répression nazi : « Des Juifs – comme la police juive du ghetto – ont fait des choses terribles et ont permis le départ des convois vers Treblinka. Mais les Polonais ont aidé, ils ont participé au meurtre ».

Le mémorial Yad Vashem à Jérusalem, dédié à la mémoire de la Shoah, rappelle également dans un communiqué que le terme « camps de la mort polonais » est incorrect, ces camps ayant été construits par l’Allemagne nazie en Pologne occupée. Toutefois, il fait aussi part de son inquiétude sur les « limitations que place la loi sur les expressions relatives à la complicité de segments de la population polonaise à des crimes contre des Juifs (…) pendant l’Holocauste. Yad Vashem continuera à soutenir les recherches visant à dévoiler la réalité complexe des relations entre Polonais et Juifs pendant l’Holocauste ». Sur les 26 513 « Justes parmi les Nations » reconnus par Yad Vashem, un peu plus de 6 700 sont Polonais. C’est plus qu’aucune autre nation.