Au Mexique, une marche anticorruption rebat les cartes de la présidentielle
Au Mexique, une marche anticorruption rebat les cartes de la présidentielle
Par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
La « Caravane pour la dignité », arrivée dimanche à Mexico, a dénoncé les malversations du PRI au pouvoir.
Le gouverneur de l’Etat de Chihuaha, Javier Corral, à Mexico, le 4 février. / GINNETTE RIQUELME/REUTERS
« Nous exigeons la fin du pacte d’impunité au Mexique », a martelé, dimanche 4 février, Javier Corral, gouverneur de l’Etat de Chihuahua (nord), en terminant à Mexico une marche anticorruption qui a traversé, depuis seize jours, le pays. Issu de l’opposition, M. Corral dénonce les malversations financières du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre) au pouvoir. Sa croisade, inédite de la part d’un gouverneur, rebat les cartes de l’élection présidentielle du 1er juillet.
Plusieurs milliers de manifestants ont scandé « No estas solo ! » (« tu n’es pas seul ! ») aux côtés de M. Corral qui brandissait un drapeau mexicain en tête de cortège. Membre du Parti d’action nationale (PAN, droite), le gouverneur a remporté, en 2016, l’Etat de Chihuahua au PRI, découvrant alors un système de triangulation de fonds fédéraux monté par son prédécesseur, César Duarte (2010-2016), au profit des campagnes électorales du parti présidentiel.
Depuis, cet ancien journaliste exige la détention et l’extradition de M. Duarte, en fuite aux Etats-Unis. Sa marche, baptisée « Caravane pour la dignité », est partie, le 20 janvier, de la frontière avec les Etats-Unis, s’arrêtant dans une quinzaine de villes. A chaque fois, M. Corral a accusé le président Enrique Peña Nieto de « protéger » son prédécesseur et de bloquer 900 millions de pesos (39 millions d’euros) destinés à Chihuahua comme moyen de pression.
« Mafia au pouvoir »
L’affaire place la corruption électorale au cœur du débat public à cinq mois du plus grand scrutin de l’histoire du Mexique. Outre la présidence, 3 400 mandats locaux ou nationaux sont en jeu, dont 500 députés, 128 sénateurs et huit gouverneurs. La campagne ne débute officiellement que le 30 mars. « M. Corral a révélé le modus operandi du PRI, qui s’étend bien au-delà de Chihuahua », s’est félicitée l’analyste politique Denise Dresser, venue soutenir le gouverneur.
L’ancien parti hégémonique, qui a dirigé le pays de 1929 à 2000, avant de revenir au pouvoir en 2012, concentre 32 % des 8 843 plaintes pour délits électoraux déposés de janvier 2014 à août 2017. D’autant que deux autres anciens gouverneurs du PRI semblent avoir mis en place le même système de détournement de fonds publics. Javier Duarte (2010-2016), de l’Etat de Veracruz (est) et Roberto Borge (2010-2016), du Quintana Roo (sud-est), sont tous deux derrière les barreaux pour corruption.
Le coup de projecteur sur ces dérives profite aux candidats présidentiels de l’opposition, Andres Manuel Lopez Obrador, du Mouvement de régénération nationale (Morena, gauche), et Ricardo Anaya, du PAN. Le premier est donné favori dans tous les sondages. A 64 ans, celui qu’on surnomme par ses initiales, « AMLO », se présente pour la troisième fois consécutive à une présidentielle. Taxé de populiste par ses détracteurs, l’ancien maire de Mexico (2000-2005) dénonce « la mafia au pouvoir », promettant de « laver le gouvernement de la corruption, de haut en bas ».
Jeudi 1er février, des dirigeants du PRI ont porté plainte contre M. Corral pour « prosélytisme électoral » au bénéfice du candidat du PAN, M. Anaya. L’ancien président du Parti conservateur, âgé de 38 ans, a noué une surprenante coalition avec deux formations de gauche, le Parti de la révolution démocratique et le Mouvement citoyen. Il milite pour des « procureurs indépendants, nommés par le Congrès et non plus par le président ». L’affiliation de M. Corral au PAN dope par ricochet la cote de M. Anaya, pourtant soupçonné d’enrichissement illicite. Un sondage, publié le 29 janvier par le quotidien El Universal, le créditait de 26 %, derrière AMLO (32 %) et devant José Antonio Meade (16 %), candidat d’une coalition menée par le PRI.
« Le mouvement ira jusqu’à ses ultimes conséquences »
« Il faut en finir une fois pour toutes avec la corruption », répète M. Meade, proposant de durcir les peines contre les corrompus et de récupérer leurs biens mal acquis. Mais l’ancien ministre des finances du gouvernement Peña Nieto peine à convaincre. Pourtant, son profil semblait insuffler un vent nouveau au sein du PRI qui a choisi pour la première fois un champion non issu de ses rangs.
D’autant que M. Meade, qui n’est membre d’aucun parti, a aussi été le ministre de l’énergie puis des finances de l’ancien président Felipe Calderon (2006-2012), issu des rangs du PAN. Ce haut fonctionnaire de 48 ans semblait pouvoir ratisser large auprès des électeurs des deux partis. Mais il ne parvient pas à se détacher de l’ombre de M. Peña Nieto qui l’a imposé comme candidat.
Dimanche, M. Corral s’est réjoui de la signature d’un accord avec le gouvernement, qui s’est engagé à débloquer les fonds réclamés et à solliciter l’extradition de son prédécesseur. Il a néanmoins précisé que sa marche « s’achève à Mexico, mais pas le mouvement, qui ira jusqu’à ses ultimes conséquences ». Le gouverneur prévoit de lancer un appel national contre la corruption politique. Quel impact aura-t-il sur les 20 % à 28 % d’électeurs indécis qui pourraient faire basculer l’élection ?