L’ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi, avec en arrière-plan Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue du Nord, lors de l’enregistrement d’une émission télévisée sur la RAI, à Rome, le 11 janvier 2018. / Andrew Medichini / AP

Editorial du « Monde ». Il n’est jamais bon signe, lorsque des crimes ont été commis, de voir une partie de l’opinion s’acharner sur les victimes. Ce spectacle désolant, c’est celui que donne l’Italie depuis l’attentat commis, samedi 3 février, par un jeune homme, Luca Traini, qui a ouvert le feu sur des migrants africains au pied du monument aux morts de la petite ville de Macerata, dans le centre du pays, blessant six personnes.

S’il ne s’était agi que du coup de folie d’un simple désaxé, l’attaque aurait été sans doute condamnée sans tergiversation. Mais voilà, l’auteur des faits était militant de la Ligue du Nord, il avait même été présenté aux élections municipales sous les couleurs de ce parti, au printemps 2017. Et, en se ceignant d’une écharpe tricolore avant d’effectuer un salut fasciste en criant « Viva Italia ! », il a clairement cherché à donner à son geste de vengeance – quelques jours plus tôt, un migrant nigérian avait été interpellé pour le meurtre sordide d’une italienne de 18 ans – une dimension politique. De ce point de vue, à moins d’un mois des élections législatives du 4 mars, Luca Traini a réussi au-delà de toute espérance.

Appel à la haine

Depuis samedi, la droite italienne dans son ensemble s’est livrée à une inquiétante surenchère. Dans un bel unanimisme, après avoir dénoncé de façon expéditive le geste d’un « déséquilibré », ses chefs s’en sont pris au gouvernement de centre-gauche, l’accusant d’avoir favorisé ces dernières années une véritable invasion migratoire. Le dirigeant de la Ligue, Matteo Salvini, dont les appels à la haine n’ont rien fait pour apaiser le climat, a ainsi claironné son impatience d’entrer au gouvernement pour « ramener la sécurité, la justice sociale et la sérénité » en Italie, tandis que Silvio Berlusconi ­promettait d’expulser 600 000 migrants ­illégaux, tous « prêts », selon lui, à commettre des crimes.

Ainsi donc, « grâce » à Luca Traini, la fragile coalition constituée autour de la droite berlusconienne, des postfascistes et de la Ligue du Nord, qui peinait depuis des mois à masquer ses dissensions sur la politique économique ou l’Europe, s’est soudain ressoudée, face à un bouc émissaire facile.

Devant cette dérive, les appels à la raison du premier ministre, Paolo Gentiloni, semblent inaudibles. Il faut dire que, ces derniers mois, les attaques du ministre de l’intérieur, Marco Minniti, contre les ONG humanitaires opérant en Méditerranée ont largement contribué à alourdir le climat en accentuant le rejet des candidats à l’asile.

L’Europe, de son côté, pourra difficilement éviter un examen de conscience, tant son incapacité à aider l’Italie, laissée seule face à l’urgence migratoire depuis plusieurs années, aura contribué à attiser une colère sur laquelle ont prospéré la Ligue du Nord et le Mouvement 5 étoiles.

Quant à Silvio Berlusconi, qui a pris le parti de s’aligner sur les positions de Matteo Salvini, sans doute pour mieux garder le contrôler de cet allié encombrant, il pourrait bien avoir perdu dans l’opération les bénéfices de la campagne que ses partisans avaient entreprise ces derniers mois pour restaurer sa crédibilité auprès des instances européennes. Affaiblissant du même coup l’hypothèse de constituer au lendemain du vote une « grande coalition » allant de la gauche à la droite modérée, dernière planche de salut de ceux qui cherchent à éviter des secousses susceptibles, au lendemain du 4 mars, d’ébranler l’Europe entière.