Madi 6 février, la Bourse de New York hésitait sur la direction à suivre, ses indices vedettes oscillant fortement depuis l’ouverture entre pertes et gains. / SPENCER PLATT / AFP

Wall Street a ouvert, mardi 6 février, sur une note fébrile, hésitant entre l’envie de continuer le plongeon entamé la veille et celle de rebondir. Après plusieurs mois d’euphorie boursière, l’indice vedette de la place de New York a chuté, lundi 5 février, perdant 4,6 %, à 24 345 points, tandis que le Nasdaq, l’indice technologique, perdait 3,8 %. Pour le Dow Jones, c’était la pire séance depuis août 2011.

Le Washington Post n’a pas manqué de relever que Donald Trump a « présidé à la plus importante chute récente, en termes de points, du Dow Jones : entre le vendredi 30 janvier et le 5 février, le Dow Jones a perdu 2 100 points, soit 8 % ».

Le plongeon de lundi tranchait avec l’autocélébration des jours précédents. Pendant son discours sur l’état de l’Union, le président américain avait claironné que « la Bourse battait record sur record », s’attribuant au passage une bonne part du mérite. Depuis son élection, le 8 novembre 2016, l’indice Dow Jones a progressé de 42 % et a atteint, le 26 janvier, un record historique au-dessus de 26 400 points.

Le choc à Wall Street lundi s’est propagé aux marchés mondiaux, faisant craindre une spirale négative, mais la solidité économique actuelle plaide davantage pour un accès de faiblesse passager.

Une correction attendue

Catherine Karyotis, enseignante-chercheuse à Neoma Business School, revient pour Le Monde sur le plongeon de Wall Street :

« Il y a une correction face aux records inédits des indices boursiers. En plus du Dow Jones, l’indice Nikkei a atteint le 23 janvier un plus haut depuis 27 ans. Cette correction démontre une fébrilité des marchés, plus qu’une panique. »

L’enseignante signale que le VIX (indicateur de volatilité), qui permet de mesurer le niveau de peur des investisseurs, est passé de 18 à 37 (il était de 89,53 le 24 octobre 2008, au moment de la crise des subprimes), ce qui démontre une certaine nervosité des marchés et la peur des investisseurs avec la fin du « quantitative easing » en Europe (le rachat de dettes publiques et privées par les banques centrales) et la perspective de hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis.

Christophe Blot, directeur adjoint au département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), commente la chute observée lundi :

« Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : la forte augmentation des prix observée ces dernières semaines était déconnectée de l’économie réelle si bien que le risque de correction existait. Ensuite, les acteurs de marché ont réagi à l’annonce sur l’évolution des salaires [américains]. A ceci, s’ajoutent les stratégies mises en œuvre sur les marchés avec des algorithmes qui amplifient les mouvements. »

Retour de l’inflation et hausse des taux d’intérêt

L’emballement a débuté vendredi avec l’annonce d’une augmentation significative des salaires américains en janvier (la plus forte depuis 2009) qui a ravivé les craintes d’une poussée de l’inflation et d’un relèvement des taux d’intérêts par la Réserve fédérale (Fed, la banque centrale des Etats-Unis). Derrière ces inquiétudes, c’est surtout un désengagement plus rapide que prévu des banques centrales que les investisseurs redoutent, après de longues années de perfusion monétaire.

Vendredi, le président de l’antenne régionale de la Réserve fédérale de San Francisco, John Williams, s’est félicité d’un retour de l’inflation : « Même si la plupart des gens ne veulent pas que les prix montent, c’est un grand soulagement de voir que la courbe de Phillips n’est pas caduque », a-t-il déclaré, faisant référence à une courbe économique qui lie mécaniquement la baisse du taux de chômage à la remontée des prix (inflation) à travers les hausses de salaires.

Il a affirmé qu’avec le rythme de croissance actuel aux Etats-Unis – 2,5 % en rythme annuel cette année selon ses prévisions –, la Fed « va continuer à remonter les taux d’intérêt ». « Cela va favoriser la stabilité de l’économie et réduire le risque de surchauffe », a-t-il souligné.

Bons chiffres de l’économie américaine

En pleine déconfiture de Wall Street, Jerome Powell, qui a été choisi par Donald Trump pour devenir le 16e président de la Fed, a dépeint, lundi, un tableau optimiste de l’économie américaine : « le taux de chômage est bas, l’économie progresse et l’inflation est basse ».

En déplacement dans l’Ohio, lundi, Donald Trump s’est abstenu de commenter la panique. Mais son entourage s’est voulu rassurant : « les fondamentaux de l’économie sont bons », a assuré la porte-parole de la présidence, Sarah Sanders. Un autre porte-parole de la Maison Blanche, Raj Shah, a déclaré que « les marchés fluctuent dans le court terme (…), nous le savons tous ».

De fait, l’économie américaine reste bien orientée : la croissance du produit intérieur brut (PIB) a été de 2,3 % en 2017 et le taux de chômage est à un plus bas niveau depuis 17 ans à 4,1 %.

« L’économie américaine se porte bien sur les fondamentaux que sont la croissance et la hausse des salaires. C’est la répartition de la croissance qui reste le point faible, avec la persistance des inégalités », confirme Xavier Ragot, président de l’OFCE.

Contagion en Europe ?

Mardi, les marchés européens ont à leur tour reculé, la Bourse de Paris terminant dans le rouge à – 2,35 %, celle de Francfort à – 2,32 % et l’indice de Londres à – 2,64 %.

« Le phénomène ne concerne pas seulement la Bourse de New York : les Bourses des anciens pays industrialisés notamment ont embrayé, les krachs ou corrections se propageant », confirme Catherine Karyotis.

« La chute va entraîner des turbulences pendant quelques jours avant une stabilisation des marchés à un niveau plus faible », estime pour sa part Xavier Ragot.

Christophe Blot détaille :

« On observe une propagation, sachant que la situation n’est pas la même aux Etats-Unis et dans la zone euro où les prix n’ont pas flambé. La situation macroéconomique n’est pas non plus la même. L’économie américaine a enclenché la reprise en 2010-2011, le chômage a baissé, mais le taux d’activité n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise. »

Risque de crise du surendettement

« La chute devrait durer encore quelques jours, affirme Catherine Karyotis. Mais on va sans doute vers une correction sérieuse, voire une crise prochaine, compte tenu d’un surendettement général. »

Une étude sortie en 2012 par McKinsey faisait état d’une dette, tous agents confondus (ménages, Etats, entreprises, institutions financières) de près de 200 000 milliards de dollars ; cinq ans plus tard, l’Institute of International Finance corrobore ces chiffres en évoquant la même dette égale à 324 % du PIB mondial. Catherine Karyotis poursuit :

« Le monde est depuis 10 ans sous perfusion financière : en attestent les totaux de bilan des banques centrales qui atteignent 4 500 milliards de dollars pour la Fed et 4 600 milliards de dollars pour la BCE fin 2017. »

En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) devrait poursuivre ses rachats de dettes publiques et privées à hauteur de 30 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre. Mais, au-delà, ces derniers devraient progressivement se réduire, pour s’interrompre courant 2019.