L’avis du « Monde » – on peut éviter

D’abord fanfiction (suite littéraire écrite par un fan) autopubliée de la série Twilight, Cinquante nuances de Grey trouvera un éditeur et se vendra à des centaines de millions d’exemplaires à travers le monde avant de connaître une deuxième vie sur grand écran. Cinquante nuances plus claires marque la fin d’une trilogie cinématographique entamée il y a trois ans et suivie de près par les fans du phénomène littéraire écrit par E. L. James qui connut un destin à la J. K. Rowling. Si le public français a toujours été fidèle au rendez-vous cinématographique (autour de 300 000 spectateurs rien que pour le premier jour), ce succès dépend moins de la qualité des films que de la fidélité à toute épreuve de ses fans et de leur désir de voir, portées à l’écran, les scènes affriolantes et faussement sulfureuses qui ponctuaient le feuilleton littéraire.

Erotisme soft

La recette de cette réussite s’explique simplement par la remise au goût du jour d’un genre perdu que E. L. James a contribué à relancer en littérature, puis au cinéma. Il s’agit de l’érotisme soft, qui connut ses heures de gloire pendant les années 1980 notamment avec 9 semaines 1/2, d’Adrian Lyne (1986). Les rêves de prince charmant d’un lectorat majoritairement féminin et les fantasmes d’une sexualité pimentée se trouvant soudain réconciliés dans la figure de Christian Grey, homme d’affaires très beau, très riche, très mystérieux ; mâle alpha absolu et sorte de Heathcliff à l’ère capitaliste.

Si le premier film avait le charme d’une première fois, le deuxième volet, Cinquante nuances plus sombres (2017), explicita la nature du contrat sadomasochiste qui lie Christian Grey à sa proie, Anastasia Steele, jeune vierge effarouchée qui tombe sous le charme du milliardaire et s’initie à ses pratiques. Car cette domination sexuelle recouvrait une fascination pour le pouvoir économique de ce prince charmant qui lui en mettait plein la vue avec son train de vie dispendieux.

Lire la critique de « Cinquante nuances plus sombres » : On y voit plus clair dans les jeux de Grey

Placement de produits

Après avoir vaguement résisté aux avances de Christian Grey désireux de la voir arrêter de travailler pour lui assurer son avenir, l’héroïne y succombe, autant qu’à son portefeuille. Cinquante nuances plus claires s’ouvre donc sur le mariage des deux tourtereaux toujours très amoureux. Car le coup de foudre tient autant aux petites sessions sadomasochistes dans la Chambre rouge où Christian Grey entasse sa collection de menottes, fouets et autres instruments de torture improbables, qu’aux nombreux cadeaux que le milliardaire offre à sa dulcinée. Voiture de luxe, bien immobilier, voyages sont autant d’occasions pour le film d’assurer sa mission première de placement de produits. Et si l’ennui conjugal, et avec lui celui du spectateur, menace de poindre, il sera perturbé par une histoire de kidnapping sans intérêt, rebondissement qui se greffe arbitrairement sur ce qui s’apparente depuis le début à un soap opera sous perfusion.

A cela s’ajoute l’inévitable grossesse d’Anastasia qui remet encore un peu d’ordre à la saga avant qu’elle ne tire sa révérence. C’est évidemment la jeune femme qui veut garder l’enfant, tandis que l’homme y voit une menace pour sa liberté et la frénésie sexuelle du couple. Il sera finalement rassuré, et avec lui le public, qui voit ce vent de subversion s’achever dans les clous d’une conjugalité conventionnelle. Mariée, enceinte et couverte de cadeaux, Anastasia Steele est désormais une femme comblée qui a aussi droit à sa dose de perversion lors de ses quelques haltes dans la Chambre rouge. Tout est bien qui finit bien, et tout est en effet plus clair.

50 Nuances Plus Claires / Bande-annonce officielle 1 VF [au cinéma le 7 février]
Durée : 02:23

Film américain de James Foley. Avec Dakota Johnson, Jamie Dornan, Eric Johnson (1 h 46). Sur le Web : fr-fr.facebook.com/CinquanteNuances.lefilm et www.fiftyshadesmovie.com