Le Mali sous le choc d’une vidéo de viol collectif
Le Mali sous le choc d’une vidéo de viol collectif
Par Bokar Sangaré (contributeur Le Monde Afrique, Bamako)
Quatre suspects ont été arrêtés à Bamako après l’agression sexuelle d’une jeune fille de 14 ans. Les associations militent pour que le pays sorte de l’omerta.
Au Mali, une vidéo diffusée sur Internet suscite l’indignation depuis samedi 3 février. On y voit quatre jeunes en train de violer, l’un après l’autre, une jeune fille de 14 ans qui pleure et se débat, sous les insultes de ses agresseurs. Les quatre auteurs présumés de ce viol collectif ont été arrêtés mercredi par la brigade des mœurs de Bamako sur la rive gauche du fleuve Niger. Le plus jeune a 16 ans, le plus âgé 25 et les deux autres 18.
Dès mardi, une dizaine d’associations de défense des droits humains avaient saisi le procureur général de Bamako pour l’ouverture d’une enquête. Dans un communiqué conjoint, jeudi, elles ont encouragé « les autorités judiciaires à poursuivre avec célérité les enquêtes, à juger les suspects et à les condamner le cas échéant pour non seulement rendre justice à la victime, mais aussi faire de ce cas un exemple pouvant prévenir la commission d’autres actes de viol et de violences sexuelles ».
« C’est l’occasion de frapper un grand coup pour éviter la récurrence de ces actes commis par des individus qui ne mesurent pas l’ampleur des sanctions qui les attendent », affirme Drissa Traoré, coordinateur de projet à l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), l’une des organisations qui entendent se constituer partie civile dans la procédure judiciaire ouverte au tribunal de la commune III du district de Bamako.
Esclavage sexuel
Cette affaire, qui rappelle le viol collectif et filmé de Zouhoura Mahamat Yosko, en février 2016 au Tchad (sept hommes avaient été condamnés pour avoir séquestré et violé une adolescente de 16 ans pendant plusieurs jours), n’est pas un cas isolé. Mercredi également, un homme de 73 ans a été arrêté pour des attouchements sexuels sur une fillette de 3 ans dans un quartier populaire de Bamako. Et dans son communiqué, le collectif d’associations rappelle que, depuis le début de l’année, il y a déjà eu au moins deux autres cas de viol dans la capitale et dans les quartiers périphériques.
En janvier 2017, une étude menée par Wildaf-Mali, l’antenne locale du réseau Women in Law and Development in Africa, révélait qu’environ 300 femmes sont violées chaque année au Mali. Selon Bouaré Bintou Founé Samaké, présidente de Wildaf-Mali, le phénomène a pris de l’ampleur à la faveur de la crise de 2012, notamment dans le nord du pays, où, sous l’occupation des groupes djihadistes et rebelles armés, des femmes et des jeunes filles ont été victimes de viols, d’esclavage sexuel et d’autres violences.
Dans un rapport publié en décembre 2017, l’AMDH tire la sonnette d’alarme quant au flou juridique concernant les plaintes pour crimes sexuels qu’elle avait introduite avec d’autres organisations, au nom de plus 100 femmes, devant le tribunal de grande instance de la commune III de Bamako. En 2015, la Cour suprême avait restitué aux juridictions du nord du Mali leurs compétences, sans préciser si le tribunal de la commune III était dessaisi des plaintes ou pas.
« L’Etat contribue à instaurer l’impunité, estime Mme Founé Samaké. Il ne veut pas en parler au nom de la paix sociale. » Au Mali, le viol est tabou, et rares sont les victimes qui sortent du silence. « Une affaire de viol ne doit pas être prise à la légère », conclut Drissa Traoré, qui ajoute que c’est l’occasion pour la justice malienne, très décriée, de redorer son blason. Au Mali, le viol est puni de cinq à vingt ans de prison.