Les marchés doivent désormais revenir à la réalité des prix, ici à la Bourse de New York / BRENDAN MCDERMID / REUTERS

Chronique. Revenons quelques années en arrière. Après la grande crise financière de 2008, tous les gouvernements des pays développés se déclarèrent incapables de remettre leurs économies sur les rails, paralysés qu’ils étaient par leur niveau d’endettement excessif. Le destin des économies était donc remis dans les mains des banques centrales. Celles-ci utilisèrent toute leur puissance pour s’acquitter de leur tâche, en utilisant le seul ressort à la disposition d’une banque centrale pour soutenir l’activité économique : fournir des liquidités au système économique.

Après que les taux d’intérêt directeurs furent ramenés à zéro (et même en dessous de zéro !), les banques centrales s’engagèrent ensuite sur la voie audacieuse d’opérations non conventionnelles, dont des achats massifs d’actifs financiers auprès du marché. Ces opérations apportèrent bien des quantités de liquidités sans précédent au système économique, faisant fortement baisser les taux d’intérêt à coups d’achats d’obligations systématiques et massifs. Cette baisse des rendements poussa les investisseurs à rechercher des rémunérations plus attrayantes, en se portant à l’achat sur les marchés de crédit et d’actions.

Ce n’était pas la performance de l’économie réelle qui motivait les investisseurs en actions mais la promesse par les banques centrales que l’apport de liquidité constant continuerait de soutenir le prix de tous les actifs financiers

Cette dynamique d’ensemble emporta marchés obligataires et d’actions dans un même mouvement haussier d’ampleur historique, par lequel l’indice actions européen Eurostoxx 600, par exemple, s’apprécia de plus de 40 % de 2013 à 2017, tandis que le taux d’intérêt des emprunts d’Etat allemands était divisé par quatre, baissant de 2 % à 0,5 % sur la période. Peu importait pendant ce temps que la croissance économique réelle restât atone. Ce n’était pas la performance de l’économie réelle, bien médiocre, qui motivait les investisseurs en actions, mais la promesse par les banques centrales que l’apport de liquidité constant continuerait de soutenir le prix de tous les actifs financiers.

Paradoxalement, tant que l’impact de ces politiques monétaires sur l’économie réelle demeurait insuffisant, la continuité du soutien des banques centrales était assurée. Les marchés pouvaient donc continuer de monter.

Dès lors, la question qu’il était légitime de se poser était de savoir quelle forme prendrait l’issue de cette période exceptionnelle. En cas d’échec ultime de ces politiques monétaires, c’est-à-dire en cas de rechute de l’inflation et de la croissance, les marchés risquaient de connaître une crise de confiance considérable. Cet échec a été évité.

L’autre issue envisageable était celle d’un succès. Mais dans ce cas, la reprise de la croissance et de l’inflation justifierait la fin des mesures exceptionnelles de soutien monétaire, et entraînerait une remontée des taux d’intérêt vers des niveaux « normaux », les valorisations des marchés d’actions en subissant les conséquences. C’est ce qui se passe aujourd’hui.

Il faut comprendre que la hausse des marchés ces dernières années s’est effectuée sur une ligne de crête entre ces deux écueils. Ainsi la Banque centrale américaine (Fed) a pu cesser ses achats d’obligations en octobre 2014 sans que les marchés ni obligataires ni d’actions ne s’en émeuvent durablement. Car pendant cette période, croissance et inflation n’étaient ni trop fortes ni trop faibles. De plus, la Banque centrale européenne commençait son propre programme d’achats d’actifs peu après (2015).

Croissance économique

Lors de la frayeur que le vote britannique en faveur du Brexit provoqua sur les marchés en juin 2016, les banques centrales purent immédiatement apaiser les investisseurs en les assurant de leur soutien si nécessaire. En 2017 culmina dans le meilleur des mondes car la croissance économique commença enfin de repartir (ce qui renforça les marchés d’actions), mais sans que l’inflation n’accélère (ce qui permit aux banques centrales de tempérer leur appétit de normalisation monétaire).

Les investisseurs doivent comprendre que les moteurs de performances auxquels ils s’étaient habitués s’inversent

Aujourd’hui, le scénario de sortie « par le haut » des longues années de soutien monétaire se précise. Et toutes les grandes banques centrales s’apprêtent donc à réduire voire à inverser leurs interventions. C’est une bonne nouvelle pour l’économie. Mais les investisseurs doivent comprendre que les moteurs de performances auxquels ils s’étaient habitués s’inversent. La baisse continue des taux d’intérêt n’a plus lieu d’être, et ces derniers doivent retrouver un niveau normal, que la distorsion opérée par l’intervention des banques centrales avait amenés à des extrêmes, déconnectés de la réalité économique.

Versant de l’huile sur le feu, la réforme fiscale de l’administration Trump creuse le déficit budgétaire américain, augmentant les besoins de financement du Trésor, au moment même où la Fed entreprend de se désengager. Les taux d’intérêts sont donc doublement sous tension. En Europe, il est patent que les rendements de la dette souveraine allemande, même après leur remontée à 0,75 % ces derniers jours, ne correspondent toujours pas à leur niveau « normal ».

Réalité des prix

Les marchés doivent désormais revenir à la réalité des prix, et il est compréhensible que le réveil d’un long rêve doré constitue un ajustement douloureux. Quand le prix des actions et des obligations, après une période d’instabilité, se sera ajusté à la nouvelle réalité, alors il conviendra de s’assurer que l’économie va toujours aussi bien, et peut devenir le nouveau moteur des marchés actions, à partir de valorisations assainies. Il y aurait dans ce cas des niveaux d’entrée sur les marchés d’actions à ne pas manquer.

C’est ce qui s’était produit, par exemple, après la forte correction de marché d’octobre 1987. En cas de ralentissement économique en revanche, les banques centrales n’auraient d’autre choix que de se précipiter de nouveau au chevet des marchés. Cela rassurerait certainement dans un premier temps, mais constituerait un constat d’échec cuisant. C’est là que réside le véritable risque : que l’économie s’avère trop fragile encore pour encaisser ce regain de stress financier, et que les signaux de croissance et d’inflation s’inversent de nouveau. Réponse dans quelques mois.