En Afrique du Sud, le président Zuma poussé vers la sortie
En Afrique du Sud, le président Zuma poussé vers la sortie
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
Le conseil exécutif du parti s’est accordé pour « rappeler » le chef de l’Etat, qui, comme tout membre du parti, est « déployé » dans une fonction. Celui-ci doit encore accepter la décision.
Le président Jacob Zuma, au Cap (Afrique du Sud), le 7 février. / SUMAYA HISHAM / REUTERS
Son parti, le Congrès national africain (ANC), a finalement tranché. Jacob Zuma doit abandonner ses fonctions de président de la République d’Afrique du Sud. L’ANC vient de le lui demander dans la nuit de lundi 12 à mardi 13 février, au terme d’une réunion extraordinaire des délégués de son conseil national exécutif.
En théorie, c’est la fin, la chute, la conclusion. Le spectre des tribunaux agité dès qu’il aura perdu son immunité. Mais le chef de l’Etat n’abandonne pas le combat, même quand tout semble perdu. Peut-être est-ce la marque de ses années dans la lutte, de ses dix années de prison, ou des opérations clandestines à haut risque, quand il infiltrait des combattants de l’ANC dans l’Afrique du Sud de l’apartheid.
Alors, quand la décision prise par l’ANC, dont il a dit une fois que ses intérêts « primaient pour lui sur l’intérêt de la nation », lui a été communiquée, il n’a pas saisi la perche tendue. Selon des sources citées par la presse sud-africaine, le chef de l’Etat aurait fait une contre-proposition, consistant à repousser sa démission de trois mois. Une éternité, compte tenu des manœuvres possibles dans l’intervalle et de la capacité de nuisance du président Zuma, suspecté de vouloir signer, à toute force, un accord pour la construction de centrales nucléaires russes qui ruinerait l’Afrique du Sud. Auparavant, il avait demandé, semble-t-il, de bénéficier d’une immunité (impensable) ou de voir tous ses futurs frais de justice pris en charge par l’Etat. Des détails de dernière minute.
Sauf coup de théâtre, Jacob Zuma va devoir plier. La partie est finie, l’ANC a parlé. Pour en arriver à cette décision, il a fallu treize heures de discussions aux membres de l’organe le plus puissant du parti, réunis à Irene, dans la banlieue de Pretoria, la capitale sud-africaine. Peu avant minuit, les délégués du conseil national exécutif ont franchi une ligne que le pays guette depuis un temps infini. Ils ont sacrifié celui qu’ils avaient tant protégé.
Il y a quelques semaines, le conseil était encore contrôlé, pour moitié, par Jacob Zuma, et n’aurait jamais pu arriver à cette décision collective. Mais dans l’intervalle, le nouveau président de l’ANC, Cyril Ramaphosa, élu en décembre 2017, a tissé avec patience et discrétion la toile de son pouvoir neuf, et fait la démonstration aux responsables du parti qu’il incarnait désormais leur nouveau centre de gravité. Les alliés de Zuma l’ont abandonné avec le même enthousiasme qu’ils mettaient à le défendre, bec et ongles, encore récemment. Le spectacle n’est pas de nature à replâtrer la réputation déjà sérieusement endommagée de l’ANC.
Difficile de désobéir
Pourquoi a-t-il fallu tant de discussions, tant de mystères et de complications – voitures des délégués disparaissant dans la nuit, absence de position nette –, au lieu d’une annonce franche et brutale dès la décision prise ? C’est que le sort de Jacob Zuma est à la fois scellé, mais encore en suspens. Les membres du conseil exécutif se sont accordés pour « rappeler » le chef de l’Etat, qui, comme tout membre du parti, est « déployé » dans une fonction et peut en être changé à la discrétion de l’ANC. Etre rappelé, c’est être supposé obtempérer, parce qu’il est difficile de désobéir.
Mais d’un point de vue judiciaire, la mesure n’est pas contraignante. Placé dans la même situation en 2008, le prédécesseur de Jacob Zuma, Thabo Mbeki, avait obéi. On avait loué alors sa « discipline » de cadre de l’ANC. En réalité, il savait pertinemment qu’en cas de refus, il serait acculé à une procédure de destitution ou de motion de défiance au Parlement, et qu’il serait, cette fois, contraint d’obéir, perdant au passage les avantages liés au statut d’ex-chef de l’Etat.
Cyril Ramaphosa, qui a été son vice-président pendant trois ans avant de prendre la présidence de l’ANC, a espéré jusqu’au bout que Jacob Zuma finirait par démissionner, afin de sauver les apparences. Mécaniquement, il deviendrait alors président par intérim (en tant que vice-président de la République), et aurait l’autorité pour organiser la suite, à sa convenance. Il aurait alors un an, avec les élections générales de 2019, pour redonner aux masses sud-africaines le goût de l’ANC, qui s’étiole à grande vitesse.
Le Congrès national africain est un parti blessé, qui s’est déconsidéré en fermant les yeux, pendant des années, sur la conduite de Jacob Zuma, associé non seulement à des affaires de corruption, mais à une marchandisation des prérogatives de l’Etat, menée en s’associant à la famille Gupta, des hommes d’affaire d’origine indienne qui avaient obtenu la haute main sur les décisions au niveau le plus élevé de la République, jusque dans le choix des ministres, qui s’effectuait dans leur propriété de Johannesburg, une présidence « bis » privatisée.
Pour sortir de cette mauvaise passe qui mène l’ANC vers une catastrophe électorale potentielle, Cyril Ramaphosa doit agir pour faire la preuve que le parti est plus qu’une association de parasites vivant des dividendes de la lutte de libération contre l’apartheid, à laquelle la plupart des dirigeants, du reste, n’ont jamais pris part.
Décision extrême
Cyril Ramaphosa préférait pour cette raison parler de « transition », plutôt que d’exclusion de Jacob Zuma, progressant avec prudence vers le départ du président. Selon une bonne source, cette lenteur était stratégique : « ll fallait éviter à l’ANC de montrer une faiblesse de plus en admettant que cet homme élu royalement par le parti constituait finalement un problème. Il fallait aussi éviter que l’ANC n’apparaisse que comme une somme de factions s’excluant mutuellement, et prouver que Zuma était poussé vers la sortie pour l’intérêt général, et non parce qu’un rival avait pris la direction du parti. » Depuis plusieurs jours, Moeletsi Mbeki, le frère de l’ex-président, homme d’affaire et analyste provocateur de la politique sud-africaine, répète à l’envi qu’il aimerait bien « que l’ANC explique pourquoi il faut démettre Zuma de ses fonctions ».
La question est d’autant plus pertinente que le parti, pendant des années, s’est érigé en pare-feu pour son chef désormais désavoué. Les deux mandats de Jacob Zuma (le second ne prendrait fin, s’il le terminait, qu’en avril 2019) ont été marqués par des scandales, mais aussi par la mise en coupe réglée des entreprises publiques, au point de les mettre en danger au point de vue technique (Eskom, compagnie d’électricité, « patiemment pillée et saccagée », selon un ingénieur étranger travaillant en son sein), ou financier. Or, ce sont les partis d’opposition, l’Alliance démocratique (DA) de Mmusi Maimane et les Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema qui ont mené la guerre contre Zuma. A l’ANC, les instances demeuraient toutes sous contrôle du chef de l’Etat.
A présent, Jacob Zuma va-t-il plier ? Ou s’exposer à l’humiliation d’une procédure de destitution ou de motion de défiance à l’assemblée ? Dans ce dernier cas, le chef de l’Etat disposerait de 48 heures pour fixer son choix. A moins qu’il n’opte pour une décision extrême, dont il a menacé, dimanche, les responsables du parti qui étaient venus lui suggérer, à l’amiable, de démissionner sans faire de vagues. Jacob Zuma avait alors menacé, selon une source proche de la délégation, de démettre Cyril Ramaphosa de ses fonctions, et de le remplacer par son ex-épouse, Nkosazana Dlamini Zuma. Ainsi, démis de ses fonctions, il serait remplacé à la tête de l’Etat par l’une de ses dernières alliées. Un scénario fou, suicidaire. Un dernier combat de désespéré n’ayant plus rien à perdre.