JO 2018 : A Pyeongchang, on skie (surtout) devant sa famille
JO 2018 : A Pyeongchang, on skie (surtout) devant sa famille
Par Clément Martel, Clément Guillou
Si le patinage attire les Coréens, les épreuves sur neige ne font pas recette, si ce n’est auprès d’Européens ayant fait le déplacement. Souvent des proches des athlètes.
Pardonnez cet excès d’orgueil, mais je suis l’une des rares personnes à avoir assisté en direct au troisième titre olympique de Martin Fourcade. Et au premier titre de Marcel Hirscher. Car oui, je ne sais pas si ça se voit à la télé, mais ça se voit en vrai : dès lors qu’un peu de neige est de la partie, il n’y a plus personne pour aller voir les épreuves des Jeux olympiques de Pyeongchang.
Le travelling sur la ligne droite d’arrivée d’Eric Frenzel, vainqueur de la première épreuve de combiné nordique mercredi après-midi, était d’ailleurs assez éloquent : ce n’est qu’à 100 mètres de la ligne que les sièges commençaient à se remplir.
Dans un sens, on les comprend, et Martin Fourcade aussi : « C’est une compétition qui se court à 21 heures le soir par moins 15 degrés, je connais beaucoup de passionnés de biathlon qui n’auraient pas mis le nez dehors ! »
Je confirme : j’adore le biathlon, et je n’ai mis le nez dehors que lorsqu’il n’y avait plus le choix et qu’il fallait bien justifier ma présence en Corée du Sud.
Pas de bol, le slalom a été annulé. / Michael Probst / AP
De fait, les tribunes de ski nordique et de ski alpin – pour ce qu’on en a vu, c’est-à-dire une épreuve – sont largement clairsemées et occupées très majoritairement par des Européens et des Américains. J’ai cru voir que la réalisation filmait dès que possible des Asiatiques dans les tribunes : qu’on ne s’y trompe pas, les locaux n’ont pas soudainement chopé le virus du ski malgré les efforts de Timofei Lapshin, le Russe sous pavillon coréen qui se bat tant qu’il peut pour donner envie à ses nouveaux compatriotes de venir le voir au biathlon (16e du sprint et 22e de la poursuite).
Autant de frères Fourcade que de spectateurs coréens
Les organisateurs avaient prévu le coup, en installant des tribunes de modeste ampleur : entre 2 500 et 4 500 places assises pour les sites de ski alpin et de biathlon, l’équivalent d’une petite manche de Coupe du monde.
Au vrai, le soir de la victoire de Martin Fourcade, il y avait sans doute autant de frères du vainqueur que de Sud-Coréens : deux. Et aussi ce bonhomme absolument impassible avec chapka et drapeau soviétiques, de loin le meilleur spectateur de ces JO.
Incontestablement LA photo de ces Jeux jusqu'à présent. Le mec s'est pointé une heure après l'arrivée de la poursui… https://t.co/gmn427Fu2q
— JeuneGuillou (@Clément Guillou)
Sur la route d’Alpensia, qui distribue les sites de ski nordique, l’on croise davantage de bénévoles et de personnes accréditées, ce qui renforce l’impression d’une compétition organisée pour les téléspectateurs et les journalistes.
Il faut dire que les conditions ne sont pas idéales, en particulier pour les épreuves nocturnes. Le délire consiste tout de même à passer une bonne heure assis dans un froid sibérien, à plisser des yeux pour tenter de voir les cibles tomber et à regarder les biathlètes skier sur un écran géant (sur la neige, mais c’est bien l’écran géant qu’il faut regarder, vous voyez ce que je veux dire). Le tout par – 20 degrés ressentis. Ce qui ne peut s’expliquer que par un amour féroce de la « cara », du « tour de péna » ou du « cordon », ou par une relation de famille avec l’un des intéressés, ce qui est – on le soupçonne – souvent le cas.
Exemple : Megan, 35 ans, croisée au ski de bosses et membre de l’armada américaine venue encourager Tess Johnson. Portant le « E » de Tess (concluons-en que le groupe était au moins au nombre de douze), elle explique « être venue du Colorado soutenir son amie ». Mais admet ne pas s’intéresser plus que ça à la compétition.
« 84 % des billets ont été vendus »
Par conséquent, la foule s’est éclaircie au fur et à mesure de l’avancée de la compétition, ce qui n’a strictement aucun sens. Mais s’explique par le fait que les spectateurs quittent l’arène après le passage de leur favori, officiellement pour le consoler, officieusement pour se mettre à l’abri du froid.
Je ne sais pas si on vous a dit qu’il faisait froid ? / Dmitri Lovetsky / AP
Ces tribunes clairsemées ne sont une surprise pour personne, surtout pas pour les organisateurs et le Comité international olympique qui s’alarmaient il y a six mois des ventes difficiles. Une brève liste de raisons à cela :
- les Sud-Coréens, dans l’ensemble, ne skient pas, et les rares qui aiment ça vont au Japon pour le faire ;
- Il n’y a pas un Sud-Coréen qui ait la moindre chance de médaille dans ces compétitions ;
- Les quelques logements dans la station d’Alpensia, centre des sports de neige, sont inaccessibles, et les tarifs ont aussi explosé depuis un an à Gangneung, où se déroulent les sports de glace ;
- Pour les Européens, cela fait loin et cher ;
- Les Américains, traditionnels pourvoyeurs de spectateurs aux Jeux, n’ont pas forcément été rassurés par le contexte politique trois mois auparavant ;
- Les billets sont comme d’habitude hors de prix : 160 000 wons pour la descente féminine, soit 120 euros (40 000 wons pour les vétérans de guerre sud-coréens, mais on n’en a pas vu tant que ça sur le combiné). Et 120 000 wons (90 euros) pour les qualifications du Big Air : on n’est pas loin de l’escroquerie en bande organisée.
C’est avec ces images en tête qu’il faut se rendre aux conférences de presse du comité d’organisation où, chaque matin, le porte-parole du comité d’organisation récite des chiffres de fréquentation s’apparentant à ceux d’une élection présidentielle kazakhe.
J’y étais lundi : « Le total des ventes montre que 84,3 % des billets ont été vendus. Sur les épreuves d’aujourd’hui, nous sommes à 94,2 % de billets vendus. »
Personne n’a ri : le contexte ne s’y prêtait pas.
Toujours selon l’organisation, un peu plus d’un billet sur cinq est vendu à des étrangers, ce qui semble peu. Mais beaucoup plus réaliste si l’on parle de l’ensemble des billets, à la fois ceux vendus et ceux distribués.
Folie au short-track
Rien de tel qu’un bon Corée-Japon de hockey pour susciter un peu de ferveur nationaliste. / LUCY NICHOLSON / REUTERS
Certains événements affichent réellement complets, notamment à Gangneung, plus de 200 000 habitants. Les Coréens s’intéressent relativement au patinage de vitesse et au patinage artistique, et les Néerlandais et Russes les aident à remplir les salles. Le hockey sur glace, guère populaire en Corée, a bénéficié du buzz autour de l’équipe unifiée pour remplir la petite patinoire à plusieurs reprises, même si des sièges vides apparaissaient tout de même. « J’ai vu des sièges vides moi aussi, reconnaissait le porte-parole du POCOG. Peut-être que des spectateurs regardaient le match dans les coursives, sur les écrans. Ce n’est pas bien d’avoir des sièges vides, d’autant plus s’ils sont filmés par la télévision. Nous essayons de trouver une solution et quand les sièges seront vides, nous y mettrons dorénavant des bénévoles. » Les bonnes recettes ne meurent jamais.
Il n’y aura pas toujours besoin de remplir les trous dans ces Jeux olympiques. Ainsi la patinoire de short-track affiche-t-elle invariablement complet, offrant une ambiance incomparable et un vacarme de tous les diables dès qu’un Sud-Coréen pose un patin sur la glace. Lorsqu’une décision d’un arbitre lui déplaît, le public sud-coréen ne hue pas mais émet un sifflement lancinant et corrosif pour les tympans.
Les épreuves de ski et de snowboard n’ont pas fait le plein tous les jours, mais c’était le cas pour le half-pipe masculin, où la star Shaun White a attiré du monde.
Réactions déroutantes
Excellent collage, rien à ajouter. / Gregory Bull / AP
Le Phoenix Snowpark de Bokwang s’est rempli comme jamais depuis le début des JO, générant quelques situations cocasses. Notamment en termes de canalisation de la foule (n’exagérons rien, plusieurs milliers de personnes, mais rien à voir avec un RER en heure de pointe). On a alors percé l’un des grands mystères de ces Jeux : le nombre de volontaires au mètre carré. En fait, ils ont été prévus pour des cas d’affluence maximale.
La plupart du temps cantonnés à un rôle d’hôte d’une politesse extrême (« helloooooo » et « byyyyyye », sourire et signe de main qui vont bien), chaque bénévole tente de trouver sa place dans l’organisation globale. Qui tient une barrière pendant une dizaine d’heures pour s’assurer que personne ne la franchit, qui fait le planton armé d’une matraque luminescente.
Evidemment, qui dit tribunes remplies dit tribunes néophytes, puisque si l’on devait rassembler toutes les personnes capables de différencier un « double mctwist 1260 » d’un « frontside double cork 1440 », on n’aurait jamais rempli lesdites tribunes. Du coup, les réactions sont plutôt déroutantes.
On en retient que les speakers doivent déployer d’immenses efforts pour arracher au public sud-coréen, peut-être engourdi par le froid, quelques encouragements. Ces derniers, quand ils viennent, nous ramènent aux novilladas landaises plutôt qu’aux Winter X-Games : « ooooolé », « whooaaa », « olllllllaaaaa » !
Bon, l’ensemble manquait un peu de bandas.
Les bandas en liberté pendant les Fêtes de Bayonne 2017
Durée : 02:50