A Thiès, un lycée pilote pour mieux coller au marché de l’emploi sénégalais
A Thiès, un lycée pilote pour mieux coller au marché de l’emploi sénégalais
Par Matteo Maillard (Thiès, Sénégal, envoyé spécial)
La classe africaine (28). Pour répondre aux attentes des entreprises, l’établissement met en œuvre des formations fondées sur une approche par compétences.
Alors que le soleil vertical du Sénégal efface chaque ombre, Ousmane Sow, 23 ans, ne se démonte pas. Il circule paisiblement tel un courant d’air entre d’immenses chambres froides, des carcasses de frigos et des climatiseurs démantelés. « Le froid, on en aura toujours besoin ici, il fait tout le temps chaud », lance-t-il doctement dans cet atelier haut de plafond où il apprend à réparer les réfrigérateurs. Engoncé comme ses camarades dans un bleu de travail siglé du nom de son établissement, le lycée d’enseignement technique et de formation professionnelle de Thiès, il en est sûr comme d’une évidence, il a choisi une filière d’avenir.
Situé à 68 km de Dakar, ce lycée professionnel est, depuis la rentrée 2017, le premier du Sénégal à mettre en œuvre des formations fondées sur une approche par compétences (APC), afin de mieux les concilier aux attentes des entreprises et du marché de l’emploi. « Si nous avons créé une filière du froid, c’est parce qu’on a découvert que, dans les ports sénégalais, il n’y avait pas de techniciens capables de maintenir les dispositifs de préservation du froid pour les produits de la pêche, explique Daour Sène, le proviseur du lycée. En créant cette filière, nous répondons aux besoins concrets de l’économie locale. »
Infographie "Le Monde"
Un modèle qui prévaut dans toutes les filières de l’école. En filière structure métallique, on forme à la tuyauterie, à la construction d’escaliers d’usine et de machines agricoles pour décortiquer les produits de l’industrie arachidière en croissance dans le pays.
L’informatisation en pleine croissance a justifié la création d’une filière électronique de pointe où les élèves apprennent à créer des systèmes intelligents comme ce modèle d’interrupteur crépusculaire fondé sur la technologie Arduino qui permet la nuit de déclencher automatiquement toutes les lumières extérieures du lycée. Et puisque nous sommes à Thiès, carrefour ferroviaire et routier du Sénégal, comment passer à côté d’une formation en maintenance moteur ?
Près de 1 200 élèves
Cette logique d’observation des besoins de l’économie locale puis de réactivité pédagogique a permis au lycée de Thiès d’obtenir le prix du meilleur institut technique sur les quatorze que compte le pays. Ouvert en 2006, l’établissement a été cofinancé par l’Etat sénégalais et le Luxembourg.
Raison qui explique la présence dans le bureau du proviseur d’une photo de Jean-Claude Juncker en visite dans les locaux. L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a aussi été séduite par ce projet pilote d’approche par compétences. Elle a fait du lycée de Thiès un étendard de ses recommandations en matière d’éducation aux pays africains.
Aujourd’hui, le lycée accueille près de 1 200 élèves encadrés par 148 enseignants dont 22 femmes. « Nous enseignons toutes les séries techniques, explique le proviseur. Nous avons un lycée qui forme des bacheliers en vue de poursuivre des études supérieures et un centre de formation offrant des cursus en trois ans pour former des techniciens employables immédiatement. Nous prenons aussi de jeunes analphabètes. » Au Sénégal, 55 % de la population ne sait ni lire ni écrire.
Tous les deux ans, le lycée évalue la liste de compétences établie afin de voir si elle correspond toujours aux besoins des secteurs professionnels. « Nous avons aussi créé une cellule d’appui à l’insertion sur le marché de l’emploi et sommes en contact régulier avec des entreprises, soutient le proviseur. Par exemple, nous avons récemment formé 180 jeunes spécifiquement pour les besoins d’une société extractrice de zircon. »
Un taux de réussite au BTS de 90 %
Contrairement aux autres lycées professionnels, celui de Thiès possède une certaine autonomie dans l’élaboration de ces programmes spécifiques qui ne sont pas imposés depuis Dakar par le ministère de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’artisanat. Ce qui permet une meilleure capacité d’adaptation aux fluctuations du marché. « Comme pour la météo, nous avons un rôle de veille. Nous devons prévoir ce que l’économie va apporter », appuie M. Sène. Youssou Gueye, chef des travaux de l’établissement, apportera une explication subsidiaire. « La formation professionnelle coûte chère et l’Etat ne met pas beaucoup d’argent, c’est aussi pour ça qu’on doit faire appel aux entreprises », relève-t-il.
En 2017, le lycée a célébré un taux de réussite au BTS de 90 %. Ce succès pédagogique trouve-t-il écho sur le marché ? « Même si le taux d’insertion n’est pas toujours à la hauteur de nos attentes, on sait que le marché aura besoin bientôt de ces compétences », rassure M. Sène.
La compétition avec la main-d’œuvre étrangère est aussi parfois rude. L’écart de compétences encore important dans plusieurs secteurs pousse le gouvernement sénégalais à faire appel à de nombreuses entreprises non locales pour achever le gros œuvre du Plan Sénégal émergent (PSE). L’aéroport Blaise-Diagne, inauguré fin 2017, a été construit par les Saoudiens du Bin Ladin Group puis achevé par les Turcs de Summa-Limak. Quant au TER en construction, ce sont les Français de Thales, Engie, Eiffage et Alstom qui ont été sollicités.
Une situation qui n’entame pas l’espoir de M. Sène. « Il nous faut instaurer la qualité pour concurrencer les entreprises étrangères, martèle-t-il. Et dans quelques années, vous verrez, nous pourrons même exporter nos élèves bien formés à l’étranger. »
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.