Martin Fourcade : « Savoir que j’entre dans l’histoire n’est pas quelque chose qui me motive »
Martin Fourcade : « Savoir que j’entre dans l’histoire n’est pas quelque chose qui me motive »
Propos recueillis par Clément Guillou (Envoyé spécial à Pyeongchang, Corée du Sud)
Après son quatrième sacre olympique en biathlon, Martin Fourcade insiste sur l’aspect anecdotique mais intimidant d’être le Français le plus titré de l’histoire des JO d’hiver.
« Je ne suis pas un cannibale », insiste Martin Fourcade après sa quatrième victoire aux JO. / ANDREW MEDICHINI / AP
Le héros était fatigué, mais pas à bout de force : Martin Fourcade a remporté dimanche 18 février son quatrième titre olympique en devançant à la photo finish, à l’issue de l’épreuve mass start de biathlon, l’Allemand Simon Schempp. Un duel qu’il a d’abord cru perdre, comme il avait perdu en 2014, à Sotchi, la même épreuve au sprint et pour 3 centimètres face à Emil Svendsen, heureux médaillé de bronze ce dimanche.
Une heure après l’arrivée, en conférence de presse, le Français ne semblait pas avoir totalement conscience de sa victoire ni de son nouveau statut, celui d’olympien français le plus titré de l’histoire avec les escrimeurs Lucien Gaudin et Christian D’Oriola.
Pouvez-vous nous expliquer votre réaction de dépit après la ligne ?
J’étais sûr que Simon avait gagné, ce n’était pas pour les caméras. Dans la ligne droite, j’ai fermé les yeux, je me suis dit : « Ne regrette rien. » Ma chance était de partir devant lui avec un peu de marge, c’est pour cela que j’ai attaqué avant le sprint et que j’ai choisi la meilleure ligne au milieu. Je pense que j’ai eu la stratégie parfaite.
C’est un scénario que je repasse dans ma tête depuis l’individuelle. Quand je visualise les compétitions les veilles des courses, j’imagine toujours les pires choses. Finir au sprint contre un des meilleurs, je le redoutais.
Au moment d’attaquer le sprint, j’ai eu un pas de déséquilibre et je me suis dit : « C’est mort, tu n’as pas réussi à entretenir ta vitesse et il va revenir de derrière plus rapidement. » C’est un peu bizarre parce que j’ai tellement cru avoir perdu ce sprint que ce sentiment de déception est toujours un peu là. (Il sourit)
Vous pensiez avoir perdu ?
Ce n’est pas ce que j’ai vu ou ressenti, davantage un sentiment qui m’habitait depuis le milieu du tour. Je me disais que l’histoire allait se répéter. C’est une pensée défaitiste. Simon, c’est l’un des meilleurs sprinteurs, il est plus puissant que moi sur cet exercice. Le feeling du jour, c’était que j’allais me faire doubler sur la ligne et que je serais médaillé d’argent de cette « mass start » olympique. Je me disais : « Ce n’est pas si mal de perdre contre le champion du monde en titre, mais je vais avoir les boules. »
La victoire de Fourcade sur Schempp a été déterminée par la photo finish. / ANDREW MEDICHINI / AP
Vous aviez en tête l’image d’il y a quatre ans, de votre défaite face à Emil Svendsen ?
J’ai toujours cette course en tête, comme l’individuelle [de jeudi]. Et la dernière balle d’aujourd’hui… Il y a toujours le sentiment de perdre cette course, de s’être fait dépasser. Et du coup, là, j’ai encore presque l’impression d’avoir perdu. Les dix minutes qui ont suivi l’arrivée, je me disais : « Allez, dites-moi que c’est vrai », jusqu’à ce que Stéphane [Bouthiaux, son entraîneur] me montre la photo finish. Jusque-là, disons que je savais, mais que je n’en étais pas persuadé.
Tony Estanguet, qui était là ce soir, faisait le constat que vous étiez désormais au sommet de l’olympisme français.
Si j’étais norvégien, je ne serais pas le plus grand olympien de l’histoire. Ce n’était pas le but en arrivant.
J’ai vu Tony, on a pensé aussi à Jean-Claude [Killy, trois titres olympiques également]… C’est un sentiment un peu bizarre car c’était confortable de marcher dans leurs pas. Cela fait bizarre de me retrouver tout seul devant. Je ne me suis jamais battu pour ça, je ne rêve pas d’écrire l’histoire.
Je rêve de faire mon sport, de le faire bien, de partager ça avec l’équipe avec qui on vit quelque chose de fort. De partager ça avec mes proches, qui savent ce que ça représente, avec tous les gens qui me suivent, mais savoir que j’entre dans l’histoire n’est pas quelque chose qui me motive. Je ne suis pas un cannibale.
En continuant quatre ans, vous auriez l’opportunité d’être le sportif le plus titré de l’histoire ?
J’ai déjà loupé deux belles opportunités sur ces Jeux. Dans quatre ans, je ne serai plus tout jeune. Je devrais gérer les problèmes d’adolescence de mes filles, donc cela me paraît compliqué de tenir jusque-là. (Il rit)
Le directeur technique national, Fabien Saguez, dit que le déroulé de votre semaine montre que, quoi qu’on en dise, vous avez ressenti une pression pendant ces Jeux. Partagez-vous ce constat ?
Je ne l’ai pas vu comme ça. J’ai abordé le sprint super serein, sans doute avec l’une des meilleures préparations mentales de ma vie pour un grand événement. J’étais super satisfait de la poursuite, sur l’individuel j’ai l’impression d’être trop fatigué pour arriver à réagir.
Mais quand on regarde l’ensemble, je partage le constat de Fabien [Saguez]. Ce sont des erreurs que je ne fais pas en temps normal, comme la dernière balle aujourd’hui [qu’il rate]. Je ne suis pas satisfait et ça vient bien de quelque part. Est-ce la pression ? Est-ce la fatigue qu’engendre l’attention autour de moi ? J’ai du mal à le définir. Je n’ai pas peur de finir le travail mais je n’arrive pas à le faire.
Est-ce quelque chose que vous aviez déjà ressenti auparavant ?
A Sotchi, j’étais un peu dans ce même état de fatigue. Ce matin, j’étais très fatigué quand je suis arrivé. Dès que j’ai cinq minutes, je ferme les yeux et j’essaye de dormir. Dès le début, j’avais des jambes en bois.
C’est une fatigue aussi due aux fuseaux horaires, aux courses qui se déroulent à des horaires inhabituels, à la déception qui m’a fait mal dormir pendant deux nuits. Autant de choses qui expliquent un état de fraîcheur moins idéal que ce dont j’ai l’habitude et explique des bêtises, des fautes d’inattention.
Par conséquent, votre soirée sera-t-elle moins longue que celle ayant suivi votre premier titre ?
Il y aura moins d’euphorie qu’après le premier titre. Je ne vais pas me coucher avant 2 heures du matin, mais c’est l’heure à laquelle on se couche tous les soirs. Au moment de fermer les yeux, ce sera plus facile qu’après la poursuite ou l’individuelle.