Des profs sénégalais révisent leur français sur tablette pour mieux l’enseigner aux enfants
Des profs sénégalais révisent leur français sur tablette pour mieux l’enseigner aux enfants
Par Matteo Maillard (Dakar, correspondance)
La classe africaine (29). La formation numérique à distance permet aux instituteurs d’acquérir compétences et diplômes : le programme est testé dans quinze pays francophones.
Hortense Sarr, enseignante à l’école élémentaire Mahecour-Diouf de Fatick, au Sénégal, perfectionne son français sur tablette avec un professeur en ligne. / Matteo Maillard
Le doigt glisse sur la tablette puis clique sur une application : un questionnaire apparaît. « C’est le devoir de français que je viens de compléter », lance avec fierté Hortense Sarr, assise dans une cour ombragée où résonnent des cris d’enfants. Comme ses élèves, cette enseignante de l’école élémentaire Mahecour-Diouf de Fatick, au Sénégal, doit rendre des devoirs chaque semaine à son tuteur. « Il poste le questionnaire sur la plateforme d’apprentissage en ligne et nous devons le remplir dans le temps imparti », confie-t-elle, satisfaite : « Ça me permet d’améliorer mon français et ma prononciation. »
A l’instar de 500 enseignants sénégalais, Hortense Sarr bénéficie d’une formation continue de remise à niveau : l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (Ifadem). Objectif de ce programme lancé en 2006 par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) : renforcer les compétences professionnelles des instituteurs « avec peu ou sans formation initiale », pour qu’ils enseignent un français sans faute à leurs élèves. Quelque 20 000 enseignants sont concernés dans quinze pays, parmi lesquels le Burundi, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, la République démocratique du Congo (RDC) et le Togo.
Infographie "Le Monde"
Six mois, sept modules
Au Sénégal, « même si le français est la langue officielle et celle qu’on apprend en classe, elle n’est pas toujours notre langue maternelle », rappelle Diène Diouf, directeur d’école à Fatick et tuteur d’Hortense Sarr. Sur 14 millions d’habitants, l’OIF estime ainsi qu’en 2014 seulement 4,3 millions étaient francophones. Dans le pays, il existe 21 langues nationales, le wolof, le peul, le mandinka et le sérère étant les seules de plus de 1 million de locuteurs. « Dans ma famille, par exemple, quand je rentre à la maison, on parle sérère, mais à l’école tout se fait en français », poursuit Diène Diouf. Dans ces conditions, difficile pour les enseignants et leurs élèves de conserver un excellent niveau de français.
Un accord-cadre a donc été signé entre l’Etat et l’OIF, en novembre 2014, pour renforcer les compétences professionnelles des instituteurs. Deux académies ont été sélectionnées, celle de Kaolack et celle de Fatick, région natale du président Macky Sall. « Dans ces académies, les taux d’enseignants non titulaires du CAP [certificat d’admission pédagogique] sont particulièrement importants, explique Diène Diouf. Ils commettent des erreurs de français car ils n’ont eux-mêmes pas reçu une bonne formation, beaucoup n’ont que le certificat élémentaire d’aptitude pédagogique. Certains font des erreurs de sens courant, confondent graphèmes et phonèmes. »
Après deux ans de préparation, le projet pilote a été lancé en novembre 2016. Sur les 100 000 enseignants du Sénégal, 250 ont été choisis à Fatick, 250 autres à Kaolack. Ils ont reçu des tablettes avec une sélection d’applications d’enseignement basées sur la plateforme éducative Google Classroom. Le programme de formation dure six mois et comporte sept modules, de la maîtrise du français au développement de la communication écrite, en passant par le français appliqué aux mathématiques, à l’éducation au développement durable et à la déontologie scolaire.
La classe africaine : état de l’éducation en Afrique
Durée : 01:56
« Ce n’est pas sa maîtresse ! »
Si la plupart des apprentissages sont réalisés en autonomie sur la tablette, les 20 enseignants que forme Diène Diouf se réunissent deux fois par mois pour vérifier l’acquisition des compétences. « Nous corrigeons les exercices ensemble et pouvons discuter de nos difficultés et de la façon de les surmonter », raconte Hortense Sarr. Mais, à chaque instant de la formation, les enseignants peuvent faire appel à leur tuteur via le tchat ou par téléphone.
« Je me tiens à leur disposition pour les aider dans leurs apprentissages, confirme Diène Diouf. Ça leur demande beaucoup de travail en dehors des heures de cours, le soir et le week-end, à tel point qu’on a prévenu leur conjoint. Je leur dis : “Si une femme appelle votre mari en pleine nuit, rassurez-vous, ce n’est pas sa maîtresse mais probablement sa tutrice qui exige le rendu du devoir !” »
A la fin de l’année, les enseignants sont admissibles au concours du CAP. Si rien ne les oblige à le passer, « c’est la voie naturelle », soutient Diène Diouf : « Le diplôme apporte confiance et reconnaissance, un facteur socialement important. Sans compter que le salaire augmente en conséquence et que la formation ouvre sur d’autres concours de l’éducation nationale. » Si le projet pilote s’avère concluant, il se pourrait qu’à la rentrée 2018 l’Etat sénégalais étende progressivement l’initiative aux quatorze régions du Sénégal.
Sommaire de notre série La classe africaine
De l’Ethiopie au Sénégal, douze pays ont été parcourus pour raconter les progrès et les besoins de l’éducation sur le continent.