Skieurs et skieuses sur les appareils de musculation dans la cellule de réathlétisation de la Fédération française, à Albertville. / Meryll Boulangeat

Pour 12 des skieurs et snowboardeurs français engagés à Pyeongchang depuis le 9 février, les Jeux olympiques ont commencé là, dans ce hangar blanc sans adresse. La salle Franck Piccard, 72 mètres carrés accolés au stade olympique d’Albertville, à quelques hectomètres du centre national d’entraînement des équipes de France (CNE), est le lieu de reconstruction de l’élite des sports de neige français. Les skieurs Blaise Giezendanner et Thomas Fanara y ont passé leur intersaison mais sont revenus en forme à temps pour faire le voyage en Corée du Sud et briller respectivement en super-G (4è) et slalom géant (5è). De l’espoir pour Jason Lamy Chappuis ou Arnaud Bovolenta, dans la même situation et engagés cette semaine en combiné nordique et skicross.

Créée en 2012, la cellule été isolée du reste du complexe où ceux qui s’apprêtent à aller aux Jeux affinent leur préparation physique. « Installer la salle Franck-Piccard dans un lieu géographique différent du centre des “valides était fondamental, explique Olivier Pedron, ancien préparateur physique de l’équipe de France masculine de ski, à l’initiative de ce centre de réathlétisation. Les skieurs en reconstruction sont dans des situations précaires. Il faut les protéger des pressions et des interférences extérieures. » De même, la présence d’un blessé dans un collectif à tendance à accaparer l’attention de l’encadrement au détriment des skieurs en forme.

« Ici, ils doivent se prendre en charge »

Certains connaissent l’endroit mieux que d’autres, comme Jean-Baptiste Grange, double champion du monde de slalom, souvent blessé. « Quand tu n’es pas en forme, que tu vois ton groupe en pleine bourre, ce n’est pas facile à vivre. Là, tu es avec d’autres blessés, dans la même galère. Ça te tire vers le haut et t’aide à envisager les choses différemment. » Olivier Pedron a dressé le constat d’une absence de lien « entre les acteurs du parcours de soin des skieurs en retour de blessure : chirurgiens, kinésithérapeutes, médecins, centres de rééducation. C’est en bossant ensemble que l’on arrive à être meilleurs ».

« Nous avions l’habitude de nous débrouiller seuls, confirme Grange. Après ma blessure en 2012, j’ai été pris en main par Olivier et son équipe jusqu’au retour sur les skis. C’est un outil top et individualisé. Nous avons un temps d’avance sur les autres équipes. »

Les deux tiers des sportifs qui intègrent la cellule soignent un traumatisme au genou, mais l’épaule et le dos sont aussi touchés : « Il y a en permanence du monde à accompagner. »

Le matin, les deux préparateurs physiques, Olivier Pedron et Jérémy Coint, arrivent rarement les premiers. « Ils n’en sont pas conscients mais nous faisons exprès d’être en retard, dit le premier. Ils savent ce qu’ils ont à faire. Cela les rend plus autonomes et investis dans leur projet. Ils ont l’habitude de suivre un groupe. Ici, ils doivent se prendre en charge. Certains mettent du temps à s’adapter. »

Olivier Pedron (à gauche) et Jérémy Coint, devant la salle Franck-Piccard à Albertville. / MerylL Boulangeat

Valentin Giraud-Moine, grièvement blessé aux deux genoux l’hiver dernier sur la « Streif » de Kitzbühel, devrait passer plus d’un an dans la cellule. Il est remonté sur les skis mais ne reprendra pas la compétition avant l’hiver prochain. « Je vois les gens se blesser à la télé, ils se font opérer et ils arrivent ici. Ils finissent par repartir et moi, je suis toujours là, du lundi au vendredi. Ce n’est pas toujours facile mais cette expérience m’a appris que la tête commande. Les moments où je suis déterminé, tout s’enchaîne bien. Quand ça ne va pas, ça avance moins vite. »

Moral en berne

Ballottés par leurs émotions, les skieurs rejoignent la cellule avec le moral en berne. « Je me souviens d’une skieuse qui s’est assise dans le vestiaire avec une tête d’enterrement, raconte Jérémy Coint. Je la voyais pour la première fois, elle m’a dit : “Regarde mon genou, qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ?” Elle était au plus bas. »

Avant de quitter la salle qui a essuyé autant de transpiration que de doutes, le skieur doit répondre à des critères psychologiques. Et lorsqu’il revient sur la neige, c’est que tous les spécialistes de la cellule, et non les entraîneurs, l’ont jugé apte.

Tous les skieurs qui seront à Pyeongchang six mois après avoir fréquenté la salle Franck Piccard ont un modèle à suivre : le snowboardeur Pierre Vaultier, premier de sa corporation a avoir intégré la cellule. Avant d’être sacré champion olympique de snowboardcross à Sotchi, il y soignait une rupture des ligaments croisés. « Nous avons travaillé dans l’urgence, se souvient Pierre Vaultier. J’avais Olivier une à deux fois par jour au téléphone, même à 23 heures. Son panel de connaissances m’a fait halluciner. C’est un extraterrestre, seul au monde dans ce qu’il fait. »

Une fois les corps et les esprits apaisés, les planches rechaussées, les hommes de l’ombre s’effacent. « Pour le bien-être du sportif, il ne faut pas de lien affectif, lâche M. Pedron. On coupe les ponts, c’est procédural. Plus de textos, plus de téléphone. Eux, ils peuvent nous joindre quand ils veulent. Mais ils ne doivent plus penser à la cellule. »

Meryll Boulangeat (envoyée spéciale à Albertville, Savoie)