Youtubeurs, « mèmes » et tweets cinglants… la féroce bataille des royalistes sur Internet
Youtubeurs, « mèmes » et tweets cinglants… la féroce bataille des royalistes sur Internet
Par Bruno Lus
Les nouveaux partisans de la monarchie ne dégainent pas l’épée mais les tweets, pages Facebook ou vidéos YouTube pour conquérir les jeunes internautes. Mais aussi se livrer bataille entre eux.
A droite, un casque de moto noir en guise de presse-livres — biographie de Guillaume le Conquérant, essai sur l’histoire de France et Charles Maurras en bonne place dans la bibliothèque. A gauche, deux drapeaux entremêlés : un français, et un bleu à fleurs de lys. Plus haut, une affiche au slogan évocateur (et anglophile) : « Make France royal again ! » Bienvenue sur la chaîne YouTube de l’Action française (AF), mouvement politique nationaliste et royaliste d’extrême droite, qui compte plus de 3 600 abonnés.
Formules d’intro — « Salut camarade ! C’est Antoine Berth, porte-parole de l’Action française » — et de fin — « Et n’oubliez pas que demain nous appartient ! » — bien rodées, youtubeur face caméra, gestuelle expressive, montage dynamique… Antoine Berth verse également dans la formule vulgaire — « Chez nous, on préfère sainte Jeanne à Marianne la salope ! » —, et n’oublie surtout pas de rappeler : « Vous pouvez continuer à nous suivre sur Twitter, Facebook et Instagram ; vous pouvez partager la vidéo, la “liker”, et nous mettre vos questions dans les commentaires. » Tous les codes des youtubeurs actuels sont réunis dans une série de vidéos politiques, nommée « Vox AF », au service de la cause royaliste.
Capture d’écran de la vidéo YouTube « L’AF C’EST QUOI ? #VoxAF », dans laquelle Antoine Berth présente le mouvement. / Capture d'écran
L’initiative est loin d’être isolée : le Web regorge de pages Facebook, fils Twitter ou photomontages (« mèmes ») à la gloire de la monarchie, qui exploitent tous les codes du Web pour séduire les internautes. Antoine Berth confirme : depuis la fin de la parution du journal L’Action française, début février, « Internet est devenu le principal canal de diffusion des informations de l’AF ». Une stratégie qui, selon lui, porte ses fruits : « On a beaucoup gagné en visibilité. Nous recrutons énormément sur les réseaux sociaux ! » Le mouvement est suivi par 9 000 personnes sur Twitter et 21 000 sur Facebook.
« Je connais des gens qui me suivaient sur Twitter et qui sont venus aux conférences de l’AF par curiosité », raconte Brousse Royco, graphiste du mouvement. L’étudiant en histoire de 22 ans loue cette révolution numérique. « Il y a trois ans et demi, on était quatre membres dans la section de Bordeaux. Maintenant, on est une cinquantaine », affirme-t-il. Son compte Twitter illustre parfaitement cette reprise de la culture web à la sauce royaliste, dispensant un florilège de montages à ses 1 500 abonnés.
https://t.co/4k7fFY4MJO
— BrousseRoyco (@Brousse Royco)
« Avant il y avait les tracts, maintenant ce sont les mèmes »
En moins de six mois, la page Facebook Mèmes royalistes a récolté plus de 20 000 « j’aime » — et 3 000 abonnés sur Twitter. Au programme : humour politique, antirépublicain, nationaliste, parfois à connotation raciste ou simplement « lol »… Brousse Royco, lui-même contributeur de la page, explique : « Mèmes royalistes compte environ quinze personnes. Des anars, des sympathisants de droite, des fans de l’époque médiévale. Ils reprennent les codes du [forum] 18-25 de Jeuxvideo.com. »
Ce forum français ultra-actif et très populaire est fréquenté par de nombreux jeunes, et régulièrement controversé pour des affaires de cyberharcèlement ou encore le soutien massif et « trollesque » au nationaliste Henry de Lesquen, récemment condamné pour contestation de crimes contre l’humanité et provocation à la haine raciale. Brousse Royco réfute cependant tout lien avec le « 18-25 ». Mais, signe d’une perméabilité entre la galaxie royaliste et l’humour de Jeuxvideo.com, les membres de ce forum cherchent à connaître l’identité des administrateurs de Mèmes royalistes, qu’ils pensent être des leurs.
On croise aussi çà et là sur cette page des clins d’œil à Pepe the Frog, grenouille récupérée par l’alt-right américaine, contre l’avis de son créateur, utilisée comme signe de ralliement pour soutenir Donald Trump pendant sa campagne présidentielle.
« On divertit pour susciter la curiosité de la jeunesse, dit Brousse Royco. Mais on considère qu’il n’y a pas de légitimité à militer dans le virtuel si on ne le fait pas dans la réalité. A l’AF, on est dans l’action politique concrète. » Antoine Berth tient à le rappeler :
« Les montages et le “trolling” sur Internet viennent d’initiatives personnelles, qui ne sont pas portées par l’AF. Mais la pop culture fonctionne vachement bien. Avant il y avait les affiches, les tracts, les autocollants… maintenant, ce sont les mèmes ! »
« L’humour cynique du troll est dans l’air du temps, estime André Mondoux, chercheur en médias socionumériques à l’université du Québec à Montréal. Il consiste à ne respecter aucune valeur et à hyperindividualiser, en cherchant l’approbation symbolique par le “like”. C’est la dissolution du politique. » Mais, derrière l’apparente force de frappe monarchiste « trollesque » sur Internet, se cache un conflit pluriséculaire.
Des royalistes divisés
Car les royalistes ne défendent pas que l’idée monarchique : ils se livrent aussi une guerre en ligne. Si certains se posent encore la question, nombre d’internautes favorables au retour d’un roi soutiennent l’un des deux prétendants actuels au trône de France : Louis de Bourbon, lointain descendant de Louis XIV, qui régnerait sous le nom Louis XX, ou Jean d’Orléans (et son père, Henri VII, comte de Paris, héritier de Louis-Philippe). Depuis plus de trois siècles, la guerre pour la légitimité fait rage entre procès, scandales et traités historiques. Une querelle qui se traduit aujourd’hui sur les réseaux sociaux.
Chez les partisans de Louis XX, on met le paquet sur YouTube et ses codes. Une chaîne entière baptisée « Légitimoscopie », des tutoriels face caméra, avec un montage épique, ou façon draw my life (un type de vidéo dessinée au marqueur, qui a connu ses heures de gloire sur la plate-forme).
Capture d’écran de la vidéo « Qui est le roi de France aujourd’hui ? Louis XX ! », qui défend la légitimité de Louis de Bourbon. / Chaîne YouTube de Royalistes Net
Stéphanie de Tournon, fondatrice du Bourbon Club, une structure organisatrice d’événements pro-Louis XX, affirme que les fans de Louis de Bourbon n’ont pas de stratégie numérique coordonnée, que « chacun publie ce qu’il veut ». Sur Facebook, son club n’hésite pas à mettre en scène la jeunesse, des montages pour célébrer le « panache » du roi ou son « couple heureux ». La communication est assez lisse et peu ancrée dans les codes humoristiques propres au Web.
A l’inverse des Orléans, massivement représentés par l’Action française. Ambiance très différente chez eux : plus de pages Facebook, une culture web plus présente et des militants plus jeunes. « Certains défenseurs de Louis XX produisent des contenus de fond, reconnaît Antoine Berth. Mais souvent, ils nous copient. Ils sont à la traîne. » Rare fait d’armes du camp Louis de Bourbon pour tenter de combler le retard, une pâle copie de Mèmes royalistes. Avec à peine 400 abonnés, la page est un flop ; au risque de se laisser dépasser.
« Grâce à des initiatives un peu “lol”, on renverse la vapeur en débauchant d’anciens soutiens de Louis XX », affirme Antoine Berth. Difficile à prouver. Quoi qu’il en soit, pour eux, l’attaque est à l’ordre du jour. Rien n’est épargné à Louis XX — largement moqué pour son accent espagnol — et ses soutiens. Ces derniers sont surnommés « Célestin », personnage fictif du 18-25, timoré, asocial et peu doué avec les femmes. Mais aussi « pépitistes » — Louis XX étant surnommé « Pépito », en raison de ses origines — ou « tradi mytho péchu rRoyco (TMPR) », sigle qui désigne les adolescents « petits-bourgeois » hypocritement bigots.
Les Jean-Célestin qui ne se sentent plus... #TMPR https://t.co/lCdQjdQCrL
— BrousseRoyco (@Brousse Royco)
Même le mot-clé #TeamLouisXX est phagocyté par l’AF. Ce qui donne lieu a des altercations — habituelles sur les réseaux sociaux — couleur blanc royal :
@LysArdent @de_salvandy @BVoltaire Quel rapport ?
Au-delà des 15 trolls #TeamLouisXX sur Twitter et de quelques se… https://t.co/Q9d2kzSx6r
— Antoine_Berth (@Antoine Berth)
« Quand je vois des commentaires de trolls, je ris ! Et je ne réponds jamais », se félicite Stéphanie de Tournon. Utiliser le Web pour convaincre de nouveaux adeptes ?
« Avec Louis XX, nous n’avons pas à aller à la pêche. Les jeunes de mon entourage hallucineraient qu’on puisse se moquer d’un accent. Que les pro-Orléans s’attaquent à ça prouve qu’ils n’ont rien d’autre à critiquer. Nous, on ne se donne pas la peine de répondre à des arguments dignes d’un passé vichyste ! »
Plaisanterie, règlement de comptes ? Dans ce petit monde royaliste, la frontière est ténue. « De la pulsion au clic, il y a un très petit Rubicon souvent franchi. On est dans une arène où l’altérité est forcément vue comme néfaste », analyse André Mondoux.
La guéguerre à qui aura le plus de retweets est l’arbre qui cache la forêt. « On chambre les “pépitistes” qui se disent royalistes après avoir fait un peu de scoutisme. Mais le véritable ennemi, c’est la République », déclare froidement Brousse Royco. Une idée aussi partagée par les soutiens de Louis XX. Antoine Berth enfonce le clou : « Cette division nuit beaucoup à l’efficacité du mouvement. » Et d’asséner, dans un éclat de rire : « Je préfère le pire des partisans de Louis XX au meilleur des républicains ! »