Après dix ans de bataille, un accord de paix sur le camembert de Normandie
Après dix ans de bataille, un accord de paix sur le camembert de Normandie
Le Monde.fr avec AFP
D’ici 2021, il n’y aura plus qu’un seul et unique camembert de Normandie AOP, mettant un terme à la bataille qui oppose le produit AOP et celui « fabriqué en Normandie ».
Un employé montre un camembert "au hâloir", le 1er juin 2007 dans la fromagerie de camembert AOC du domaine de Saint-Loup-de-Fribois, dans le Calvados. / MYCHELE DANIAU / AFP
La guerre du camembert de Normandie est officiellement terminée. Les producteurs de lait normands et tous ceux qui produisent les camemberts dans la région ont fini par se mettre d’accord jeudi 22 février, après dix ans d’invectives autour de leur étiquette.
D’ici à 2021, il n’y aura plus qu’un seul et unique camembert de Normandie AOP (appellation d’origine protégée), a signalé jeudi l’Institut national des appellations d’origine (INAO), à l’issue d’une réunion entre tous les acteurs de la filière. Ce qui met un terme à la bataille qui oppose « le camembert de Normandie AOP » et le « camembert fabriqué en Normandie ».
Les producteurs de camembert « fabriqués en Normandie » – parmi lesquels essentiellement de gros industriels comme Lactalis – ont en effet « accepté de respecter le futur cahier des charges de l’AOP camembert de Normandie », a précisé l’INAO dans un communiqué. Celui-ci prévoit une « montée en gamme pour tout le monde », a précisé l’INAO. Selon l’institut, cette pacification va aussi permettre de donner « plus de lisibilité au consommateur » et d’améliorer la qualité des troupeaux laitiers en Normandie, les conditions de pâturage et de fabrication du fromage.
Deux types de production s’affrontaient
Derrière les deux étiquettes coexistaient jusqu’à présent deux types de production très différents : d’un côté, les AOP devaient respecter un strict cahier des charges, avec du lait cru provenant à 50 % de vaches normandes sur une aire géographique délimitée (Calvados, Manche, Orne, et une frange de l’Eure). Ils représentaient entre 5 et 6 000 tonnes par an. De l’autre, le camembert « fabriqué en Normandie », industriel, n’avait aucune contrainte de production, ni sur la race de vache qui produisait le lait, ni sur leur alimentation, et pasteurisait son lait pour pouvoir exporter les camemberts. Il s’agissait du poids lourd du secteur, avec quelque 60 000 tonnes par an.
Après de longues tractations, en Normandie et au siège parisien de l’INAO, les deux parties se sont mises d’accord pour un cahier des charges unique, en faisant chacune un pas vers l’autre. Les défenseurs du lait cru ont été coulants, en acceptant que le camembert AOP puisse être élaboré au lait pasteurisé. Les seconds ont progressé en gamme, en acceptant des contraintes inédites pour eux : au moins 30 % de vaches de race normandes dans leurs troupeaux, avec l’obligation pour elles de pâturer en extérieur en Normandie.
« Cet accord va permettre de remettre des vaches normandes dans les prés de Normandie » a déclaré à l’AFP Patrice Chassard, président du comité national des AOP fromagères, qui a arbitré les échanges. Selon lui, au lieu de 50 millions de litres de lait normand utilisés par an pour le camembert AOP jusqu’à présent, l’accord permettra de gonfler les volumes à 900 millions de litres à terme. Ce qui permettra aux producteurs de mieux valoriser leur production.
« On était dans une situation exceptionnelle, fossilisée depuis longtemps, il a fallu imaginer des solutions exceptionnelles », a déclaré Jean-Louis Piton, le président de l’INAO, qui a dû menacer les fabricants des « fabriqués en Normandie » – qui vivaient sur l’ambiguïté – de recourir à la voie judiciaire pour faire « constater les usurpations » de nom et les obliger à négocier.
Une « mention valorisante » pour répondre aux critiques
L’accord a néanmoins déclenché la colère de l’association Fromages de terroirs : selon elle, l’AOP va « s’enfoncer inexorablement dans la médiocrité » en « héritant du pire scénario que l’on pouvait attendre » puisque le lait cru ne sera plus obligatoire. « Neuf camemberts AOP sur 10 vont donc être pasteurisés et industriels, fabriqués à la chaîne comme de vulgaires produits », regrette l’association dans un communiqué.
Pour contourner cette critique, l’accord prévoit la création d’une « mention valorisante », du type « véritable » ou « authentique » pour les camemberts qui continueront d’être fabriqués au lait cru et moulés à la louche, un peu comme un grand cru ou un premier cru dans le secteur viticole.
« L’ensemble des acteurs ont écrit au frontispice de l’accord que la croissance du lait cru était leur ambition partagée », a souligné M. Piton. Lorsqu’il existe une mention valorisante claire et que le consommateur est clairement informé, les volumes augmentent, y compris dans le haut de gamme, a assuré M. Chassard.