Film sur Canal+ Cinéma à 20 h 50

MoonRise Kingdom Bande Annonce VF
Durée : 01:58

Moonrise Kingdom (« le royaume du lever de Lune ») nous invite à visiter un nouveau sanctuaire, celui d’une île cossue et préservée de la Nouvelle-Angleterre en 1965, où un rassemblement scout a planté son camp. L’histoire se noue, au petit matin, sur une note plaisamment scandaleuse : au camp Ivanhoé, un membre de la troupe a déserté le jamboree. On apprend bientôt, par un jeu subtil de retours en arrière mêlés à la trame des événements, que ce jeune garçon solitaire et déterminé se nomme Sam Shakusky et que sa fugue a quelque rapport avec sa condition d’orphelin abandonné par ses tuteurs. Non moins d’ailleurs qu’avec la rencontre de Suzy Bishop, petite rousse piquante en compagnie de laquelle il fomente depuis un an cette commune escapade.

Et tandis que les deux jeunes adolescents (interprétés au petit poil par Jared Gilman et Kara Hayward) jouent le plus solennellement du monde à Davy Crockett sur la piste native des Etats-Unis d’Amérique, le spectateur est invité à faire connaissance avec la troupe bigarrée qui s’élance à leur poursuite. Le capitaine de ­police Sharp, célibataire endurci au grand cœur (Bruce Willis) ; les parents de Suzy, couple d’avocats gravé dans le bois de la bourgeoisie locale, avec le mari en mélomane fatigué (Bill Murray) et la femme (Frances McDormand) qui distrait son ennui par une liaison clandestine, mais non moins monotone, avec le capitaine Sharp ; « Mme Services sociaux », dan­gereuse pimbêche le doigt sur la couture de l’uniforme (Tilda ­Swinton) ; et puis la meute des scouts, dirigée par quelques figures ­hautes en couleur.

Jason Schwartzman, Jared Gilman, Kara Hayward dans « Moonrise Kingdom », de Wes Anderson. / STUDIOCANAL

Tout cela, mené tambour battant entre clair de lune romantique, nature virginale et tornade d’apocalypse, renvoie aux délices revisitées de la « Bibliothèque verte » et du roman d’aventures. A cela près que l’aventure selon Wes Anderson est passablement domestiquée par la mise au cordeau esthétique et le fétichisme vintage. Le plan-séquence panoptique de l’ouverture du film dans la maison des Bishop, tout en travellings et en panoramiques filés, annonce ainsi la virtuosité d’un film qui ne semble pouvoir affronter la cruauté du monde qu’à condition de le réduire à l’état de maquette.

L’exaltation maniériste de cet esprit d’enfance a cela de particulier qu’elle ne célèbre plus la jeunesse et la sauvagerie de l’Amérique, mais témoigne au contraire de l’inquiétude de son déclin, dès lors que les adultes s’y comportent comme des gamins, et les enfants comme des petits vieux.

Moonrise Kingdom: Le Temps De L'amour
Durée : 01:54

Il serait donc vain de reprocher au cinéaste cette obsession de la maîtrise : elle est la condition d’une création qui fonde sa propre liberté sur la terreur de la liberté, telle que la génération antérieure (Anderson est né en 1969) en aurait gravement mésusé. Le seul monde vivable reste celui qu’on se réinvente de bric et de broc, par l’exacerbation du style, l’agencement des harmonies, la luxuriance de l’artifice. Un monde bancal, certes, mais avec un maximum de tenue.

Un monde où la country joyeuse d’Hank Williams (Honky Tonkin’), le brio contemporain de Benjamin Britten (Variations et fugue sur un thème de Purcell) et le yé-yé glamour de Françoise Hardy (Le Temps de l’amour) trament la tapisserie musicale sur laquelle un orphelin trop tôt mûri peut rencontrer un adulte dont la générosité de cœur soit à la mesure de sa peine. Au seul chapitre de l’organisation de ce petit miracle, il faut reconnaître à Wes ­Anderson un talent fou.

Moonrise Kingdom, de Wes Anderson. Avec Kara Hayward, Jared Gilman (EU, 2012, 90 min).