Damien Cuypers pour M Le magazine du Monde

Parfois on se demande si elle ne le fait pas exprès. Comme si, généreuse et provocatrice, elle voulait donner à tout le monde une raison de la détester. On parle d’Anne Hidalgo, bien sûr. Juste un exemple. Sur la photo de son profil Facebook, la maire de Paris pédale gaillardement en tenant son guidon d’une main pendant que de l’autre elle salue une foule absente, tout sourire sur une portion de quai de Seine qu’elle est seule à fréquenter. Personne devant, personne derrière. Le bonheur…

Une double provocation : pour les cyclistes qui ne trouvent plus un Vélib’ dans un rayon de trois kilomètres depuis que la Ville a changé de gestionnaire ; et pour les automobilistes privés d’accès.

Jusqu’à présent, l’édile avait habilement joué les uns contre les autres, consciente que les premiers étaient plus nombreux (et donc électoralement plus puissants) que les seconds. Mais, depuis quelques semaines, la machine à cliver, version ancien monde, semble moins bien fonctionner. Un Parisien croisant la route d’un des 4 à 6 millions de rats qui ont pris leur quartier dans la ville est-il de droite ou de gauche ?

Prenons maintenant l’affaire Michel Déon, un écrivain, né à Paris en 1919 et décédé en 2016 à Galway (Irlande), dont la famille souhaitait obtenir une sépulture dans un des cimetières de la capitale pour y déposer ses cendres.

Proche de Charles Maurras pendant la guerre, membre du courant littéraire des « Hussards » dans les années 1950 et 1960 (des jeunes gens qui avaient le goût du style, des femmes, des idées et des alcools forts), il n’aurait jamais voté Hidalgo. D’autant qu’il a passé la majeure partie de sa vie aux États-Unis, au Canada, au Portugal, en Grèce et, pour finir, en Irlande.

Che Guevara plutôt que Michel Déon

A l’inverse, Anne Hidalgo n’a probablement jamais lu une ligne de Déon. Avec une sécheresse de ton que même les contrôleurs de la SNCF n’ont plus, les services compétents de la Ville ont fait savoir que l’écrivain, n’étant pas domicilié à Paris, n’étant pas inscrit sur les listes électorales et n’y possédant pas de caveau, n’avait donc aucun droit à y être enterré. Demande d’asile refusée.

Certains soupçonnent derrière ses arguments juridiques une bonne dose de mauvaise foi et une décision guidée par un ressentiment purement idéologique, digne de l’ancien monde. Choisis ton camp, camarade, comme on disait en 68 ! La Mairie de Paris avait choisi le sien : oui à une exposition consacrée à Che Guevara à l’Hôtel de Ville, non aux restes de Michel Déon au Père-Lachaise.

Fallait-il que les proches de l’auteur d’Un taxi mauve bivouaquent dans une tente Quechua devant l’entrée d’un cimetière pour attirer l’attention sur leur cause ? Ils ont trouvé mieux. Une pétition signée d’une centaine d’écrivains et d’éditeurs – hommes, femmes, de gauche, de droite ou de nulle part – et publiée par Le Figaro. « Son œuvre, sa personnalité et son rayonnement international ne méritent pas cette situation déplorable », écrivent-ils, hissant Michel Déon au niveau de Stendhal, Proust et Baudelaire, ce qui est sans doute exagéré.

Miracle ! Vingt-quatre heures plus tard, Anne Hidalgo rendait les armes. Malgré la saturation des cimetières parisiens (5 000 demandes, 150 places disponibles), la maire promet de pousser les morts et de faire une place et une « heureuse exception » pour le « grand écrivain ». C’est fou comme tout est plus simple quand on retire ses œillères.