Alexis Contin sera l’un des favoris au titre, samedi 24 février, sur la mass-start. / PHIL NOBLE / REUTERS

Pas la peine de chercher dans la patinoire d’autres doudounes floquées d’un « France » dans le dos. À Heerenveen (Pays-Bas), ville hôte de la première manche de Coupe du monde de patinage de vitesse, en novembre, ils n’étaient que deux à porter la tenue bleu pétard : Alexis Contin, patins aux pieds, et Alain Nègre, chronomètre et feuille de stats dans les mains. Un binôme constitué il y a quinze ans et qui peut se targuer de constituer à lui seul « toute l’équipe de France de grande piste ».

Unique représentant tricolore aux Jeux de Pyeongchang (Corée du Sud) en patinage de vitesse grande piste, le Malouin tentera d’apporter à la France sa première médaille olympique dans ce sport, à l’occasion de la mass start, samedi 24 février. « On a décidé de concentrer tous nos objectifs sur un seul athlète, confirme Rodolphe Vermeulen, directeur technique national (DTN) des sports de glace. On verra après les Jeux si on ouvre les portes de l’équipe de France aux jeunes. »

Seul, Alexis Contin a décidé de l’être dans sa préparation hivernale. Sous contrat avec une équipe professionnelle néerlandaise jusqu’en mars 2017, où il côtoyait la légende « Oranje » Sven Kramer, quadruple champion olympique, le trentenaire s’est concocté un programme sur mesure et solitaire, entre l’Allemagne, les Pays-Bas et les États-Unis.

Star du roller

« C’est un choix d’être tout seul, donc je ne m’en plaindrai jamais, assume le Français. Alain est avec moi, et je n’ai besoin de personne d’autre. » Alain Nègre et Alexis Contin : une relation qui remonte à 2003. Le premier comptait parmi les entraîneurs les plus réputés de patinage à roulettes quand il a vu le second venir le supplier de lui laisser intégrer son équipe. « J’étais un jeune branleur qui ne voulait vivre que de roller », pose le patineur.

Il devra s’y reprendre plusieurs fois pour rouler sous les ordres de son mentor : « 17 ans, je trouvais ça trop jeune, surtout pour un groupe expérimenté qui tournait déjà bien. Mais il n’a pas lâché, m’a bousculé, j’ai cédé. » Le soupir de celui qui rend les armes. « Un an après il était champion du monde. » Suivront onze autres titres internationaux.

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Si Alexis Contin devient rapidement une star du roller, son palmarès long comme ses grands compas ne suffit pas à le sortir de l’anonymat de sa discipline. Qu’à cela ne tienne, le Breton veut son moment de gloire. Et en sport, la lumière passe notamment par les Jeux olympiques. Va pour le patinage de vitesse.

Pour un Français, rêver de l’or olympique sur l’anneau de glace revient à espérer remporter Roland-Garros quand on naît dans un pays sans court de tennis. Lui assume d’être « un fou, un cinglé ». « Il a ce côté jusqu’au-boutiste, anormal, qui distingue les champions des très bons », abonde son entraîneur, qui résume son rôle à « canaliser un niveau d’exigence tel qu’il pourrait devenir une faille ».

Après un premier exil aux Pays-Bas, Alexis Contin explose aux Jeux de Vancouver, en 2010, en prenant la quatrième place du 10 000 m. « Du jour au lendemain, un gamin que personne ne connaissait est arrivé au pied d’un podium olympique, en rigole encore Alain Nègre. Même l’équipe technique des sports de glace a fait sa connaissance sur place. »

« Je suis handicapé »

Huit ans après, le « gamin » court toujours après les lauriers olympiques. Onzième du 5 000 m et 22e du 1 500 m dans la patinoire de Gangneung, il sera l’un des favoris pour le titre de la mass start, qui fait son entrée au programme olympique. Il s’agit de l’épreuve de prédilection du Français, médaillé lors des trois derniers championnats du monde.

À la veille de ce qui sera sans doute sa dernière chance d’atteindre l’Olympe, Alexis Contin dégageait une étrange sérénité. Capable de s’imposer une année en ermite pour conquérir l’or à Pyeongchang, il se dit déjà « fier et en paix avec [ma] carrière ». La quiétude de celui passé par des épreuves autrement plus délicates ? « On a connu toutes les galères », confirme l’intéressé.

Premier accroc : la thyroïde. À quelques mois des Jeux de Sotchi, en 2014, le patineur voit ses performances chuter. Sans raison. « Plus que le physique, ce passage a été terrible sur le plan mental, se remémore le natif de Saint-Malo. J’ai eu des périodes noires, très noires. » Il lui faudra des semaines pour comprendre qu’il ne traversait pas un épisode dépressif mais que, atteint de la maladie de Basedow, il devra dorénavant composer avec une thyroïde défaillante. « La nouvelle a été un choc, mais nous étions rassurés, on avait enfin une explication : le chef d’orchestre de mon corps déconnait. »

« À vingt jours des Jeux, on se dit que des médicaments vont le remettre sur pied à temps, rembobine Alain Nègre. Mais non, c’était mort. À Sotchi, il était tout maigre, tout pâlot, contraint de déclarer forfait course après course. »

En décembre 2016, une rechute le contraint à une ablation totale de la glande. « On passe dans une autre dimension. Il me manque un organe. Je suis handicapé, même si personne ne le voit. » « Il est malade ? Oui. Mais on s’en fout », coupe Alain Nègre.

Le sauveur de la grande piste ?

À la maladie est venue se greffer une relation exécrable avec l’ancien DTN, Xavier Sendra. Dénonçant un manque de soutien de leur fédération, les trois patineurs français qualifiés pour les Jeux de 2014 - Alexis Contin, Ewen Fernandez et Benjamin Macé - ont dû s’attacher les services de coachs individuels.

« Le DTN m’avait clairement fait comprendre que je ne représentais aucune chance de médaille, se rappelle le premier. Je faisais pourtant partie des cinq meilleurs mondiaux. » « Ces Jeux de Sotchi ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », complète, amer, Ewen Fernandez. Lui aussi venu du roller, le Normand a depuis raccroché les patins, « totalement dégoûté ».

Si le successeur de Xavier Sendra, Thierry Soler, a ensuite mis sur pied un partenariat avec son homologue du roller pour assurer la pérennité de la carrière sur glace d’Alexis Contin, la question se pose de l’avenir de la discipline. Le patinage de vitesse hexagonal survivra-t-il au départ de son unique représentant à Pyeongchang ? Pour Ewen Fernandez, la question appelle la réponse : « Le jour où Alexis arrêtera, la grande piste sera finie en France. »

Du côté de la fédération, on se montre plus prudent. « Aujourd’hui, Alexis porte ce sport sur ses épaules, seul, appuie Rodolphe Vermeulen, l’actuel DTN. Sans vouloir lui mettre encore plus de pression, le futur de la spécialité dépendra en partie de ses résultats en Corée du Sud. » Le 24 février à Gangneung, se jouera l’un des paris les plus culottés du sport français et l’avenir du patinage de vitesse tricolore.