Thello est la seule entreprise à concurrencer actuellement la SNCF, sur des lignes France-Italie. / MIGUEL MEDINA / AFP

On pourra bientôt prendre le train sans entendre le fameux jingle de la SNCF. A partir de 2021, des opérateurs privés pourront en effet commencer à exploiter leurs propres trains sur le réseau ferroviaire français, mettant fin à plus de quatre-vingts ans de monopole de la Société nationale des chemins de fer sur les transports de voyageurs.

Cette échéance correspond au calendrier imposé par l’Union européenne à la France pour libéraliser son secteur ferroviaire. Et c’est bien la perspective de l’arrivée de concurrents à la SNCF qui est au cœur de la réforme de l’entreprise annoncée le 26 février par le gouvernement.

Edouard Philippe dévoile les grands axes de la réforme de la SNCF
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1. Comment s’explique le monopole de la SNCF ?

Depuis la nationalisation des chemins de fer, en 1937, la SNCF est la seule société autorisée à transporter des voyageurs par le train. Ce monopole était essentiellement motivé par l’idée que le transport ferroviaire était un service public, qui ne devait pas être soumis à la logique du marché. Opérateur historique et unique, l’entreprise publique SNCF pouvait donc assumer les missions que lui confiait l’Etat (son principal actionnaire), y compris si elles n’étaient pas rentables : cela lui permettait par exemple d’assurer des petites lignes non rentables, mais importantes dans une logique d’aménagement du territoire.

2. Que signifie « libéraliser » ?

Cette situation était en contradiction avec l’idée de « concurrence pure et parfaite » promue par les économistes libéraux et « sanctifiée » dans les traités européens — la Commission européenne voyait dans ces monopoles nationaux un frein à la croissance économique, un obstacle à la baisse des prix et une explication de la mauvaise santé du secteur ferroviaire. C’est pourquoi elle a engagé, au début des années 1990, un processus de libéralisation du rail. Cela ne signifie pas que la SNCF doit forcément être privatisée, mais qu’elle doit être mise sur un pied d’égalité avec des concurrents privés, qui doivent pouvoir proposer leurs propres services de transport ferroviaire.

Compte tenu des fortes résistances de certains Etats (dont la France) et des risques que la concurrence pouvait faire porter sur les opérateurs historiques et le maintien des objectifs de service public, cette libéralisation a été très progressive, et ne devrait être finalisée que dans les années 2020.

Le calendrier de l’ouverture à la concurrence

Aucune règle n’oblige la France à privatiser ses rails, qui resteront gérés par la branche « infrastructure » de la SNCF (successivement baptisée « Réseaux ferrés de France » puis « SNCF Réseau »). En revanche, plusieurs directives européennes ont progressivement imposé à la France de libéraliser ses services de transport ferroviaire, en permettant à d’autres opérateurs de mettre leurs trains sur les rails.

1997 : la SNCF coupée en deux

Pour préparer la libéralisation, la SNCF a été scindée en 1997 en deux entités, qui s’appellent aujourd’hui :

  • SNCF Réseau, qui gère les rails

  • SNCF Mobilités, qui exploite les trains

2003-2006 : le transport de marchandise

Le transport de marchandise par voie ferroviaire, qu’on appelle « le fret », a été le premier à être libéralisé. Cela a commencé par l’international, en 2003 (le premier train privé a circulé en 2005 entre Dugny-sur-Meuse et Völkingen, en Allemagne), avant de s’étendre aux lignes nationales, en 2006. Au total, une vingtaine d’opérateurs privés ont profité de cette libéralisation pour venir concurrencer la SNCF, qui a perdu 40 % de parts de marché. Beaucoup d’observateurs considèrent cette libéralisation comme ratée, car, dans le même temps, le marché du fret a chuté, et les opérateurs privés restent fragiles économiquement.

2009-2011 : le transport international de voyageurs

Si la possibilité était officiellement ouverte depuis 2009, le premier train transfrontalier non SNCF à rouler en France a été le Paris-Venise de Thello, en 2011. Cet opérateur, qui appartient aux entreprises française Veolia et italienne Trenitalia, est aujourd’hui le seul à profiter de la libéralisation, avec ses deux lignes (Paris-Venise et Marseille-Milan).

2019-2033 : les trains régionaux

La mise en concurrence du transport express régional (TER) et des trains d’équilibre du territoire (Intercités, Teoz, Corail) ne sera pas sauvage. Il n’est pas question d’autoriser n’importe quel opérateur à utiliser le réseau ferré, mais plutôt de permettre à l’Etat et aux régions françaises de choisir à quel opérateur elles souhaitent confier leur délégation de service public (à la SNCF ou à un concurrent privé). Cette délégation prend la forme d’un contrat sur plusieurs années, assorti d’un cahier des charges qui permet à l’Etat ou à la région de fixer des exigences en matière de qualité de service, par exemple.

Les régions françaises pourront commencer à attribuer ces concessions à des opérateurs privés à compter de décembre 2019, mais elles ne seront tenues de procéder à des appels d’offres ouverts qu’en 2023. Les conventions régions/opérateurs pouvant durer dix ans, la SNCF pourrait rester en monopole de fait et empêcher les opérateurs privés de candidater jusqu’en 2033, dans les régions les plus hostiles à la concurrence.

Toutefois, plusieurs d’entre elles (PACA, Grand-Est, Hauts-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Pays de la Loire) ont d’ores et déjà annoncé leur intention de libéraliser au plus vite, entre 2019 et 2021.

2020-2011 : les TGV

Le monopole public sur les lignes qui, comme le TGV, n’entrent pas dans un contrat de service public, s’éteindra officiellement en décembre 2020. Les premiers concurrents privés du TGV pourront rouler sur le réseau français en toute liberté à partir de 2021.

3. Pourquoi la SNCF doit-elle être réformée avant la libéralisation ?

Le processus de libéralisation n’interdit pas le maintien d’une entreprise publique parmi les opérateurs ferroviaires, et n’impose donc pas la privatisation de la SNCF. En revanche, un certain nombre de règles européennes visent à s’assurer que la SNCF ne sera pas avantagée par rapport à ses concurrents.

Plusieurs experts du secteur estimaient par exemple nécessaire de changer le statut de SNCF Mobilités, la branche de la SNCF qui va se retrouver en concurrence avec les opérateurs privés. Le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial pouvait en effet être considéré comme trop préférentiel. C’est une des raisons pour lesquelles le gouvernement Philippe entend la transformer en société nationale à capitaux publics.

Le même sort attend SNCF Réseau qui, une fois son statut réformé, serait structurellement empêchée de s’endetter. Or, sa dette actuelle est abyssale, alors que les textes européens imposent son équilibre économique.

Ces questions juridiques ne sont pas les seules justifications de la réforme promue par Edouard Philippe. L’idée du gouvernement est que la fin des embauches sous le statut actuel de cheminot ou la réduction des coûts rendront la SNCF plus compétitive afin de mieux encaisser l’arrivée prochaine de concurrents, sans menacer sa survie à long terme.

Une mise en garde reprise par Jean-Cyril Spinetta dans son récent rapport sur l’avenir du transport ferroviaire : pour lui, « l’ouverture du marché du fret ferroviaire, qui a conduit à une forte réduction des trafics, et à un endettement massif » fait figure de précédent douloureux, qui justifie la nécessité de changements urgents au sein de la SNCF, avant l’ouverture complète du marché.