Le président sud-africain Cyril Ramaphosa lors de la présentation de son gouvernement, le 26 février, à Pretoria. / PHILL MAGAKOE / AFP

Il arrive qu’un compromis, destiné à éviter une confrontation, ne parvienne finalement à satisfaire pleinement personne. C’est le danger que court le gouvernement sud-africain nommé lundi 26 février, en fin de soirée, par le nouveau président – il a prêté serment le 15 février après la démission de Jacob Zuma. Ce gouvernement est plus le fruit d’une savante alchimie entre les courants de l’ANC (Congrès national africain) qu’une machine changer la vie, le monde, et l’Afrique du Sud. Mais peut-être n’est-ce qu’un gouvernement transitoire, le temps pour le chef de l’Etat d’avoir la paix avec le parti, de transformer certains de ses ennemis en fusibles et de les laisser griller, en attendant les élections de 2019, après lesquelles il pense bien avoir les mains libres.

Il faut se souvenir que Cyril Ramaphosa n’a été élu à la tête de l’ANC qu’en décembre, et que les divisions au sein du parti semblaient alors des poids capables d’entraver tous ses mouvements. En deux mois, il a réussi à imposer sa volonté bien au-delà des prévisions, tout particulièrement en chassant du pouvoir Jacob Zuma. Pour parvenir à cette éviction, il a aussi fallu faire des promesses, offrir des garanties. Il n’y a donc pas de dé-zumaification à l’œuvre dans le premier gouvernement de l’ère Ramaphosa, mais un effort de pacification.

Le Parti communiste sud-africain (SACP), qui s’était opposé à Jacob Zuma, se voit réintégré avec ses deux ministres emblématiques, Derek Hanekom et Blade Nzimande, qui avaient été limogés par le président déchu dans sa dernière année de dérive. Le SACP est peut-être une formation d’importance très diminuée, victime de ses contradictions (et qui avait du reste initialement contribué à l’élection de Jacob Zuma à la tête de l’ANC en 2007, se figurant qu’il mettrait en œuvre une politique « de gauche »), mais demeure un élément non négligeable de l’articulation avec les responsables syndicaux dans les entreprises comme au sommet de l’Etat. Il va falloir apaiser ces derniers. A ce titre, la nomination de Gwede Mantashe, le président national de l’ANC, est un signe fort : il devrait porter la parole des mineurs, alors qu’on soupçonne Cyril Ramaphosa de n’être acquis qu’à la cause des patrons des mines.

Un ménage sélectif

Parallèlement à la recherche de ces équilibres délicats – et dont on verra s’ils fonctionnent ou ne sont que des chimères –, le premier gouvernement Ramaphosa fait aussi un ménage sélectif parmi les éléments les plus légers du tableau périodique de la « capture d’Etat ». Disparaît ainsi David « Des » van Rooyen, obscur fonctionnaire de province, monté en grade à une allure vertigineuse en raison de sa fonction d’homme docile manipulé par un groupe d’intérêt proche des Gupta. Il avait été parachuté à la tête du ministère des finances en décembre 2015, avec pour conséquence immédiate d’entraîner une chute du rand et de la bourse si abrupte que Jacob Zuma, après intervention de responsables de l’ANC, avait été contraint de se dédire et de le démettre. Disparaît aussi Mosebenzi Zwane, ministre sortant des mines, qui irritait fortement les groupes miniers. M. Zwane encourt par ailleurs des poursuites dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds d’un projet agricole public, dans ses fonctions précédentes, lié, encore une fois, aux Gupta.

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Les poids lourds parmi les fidèles de Jacob Zuma, en revanche, ne sont pas traités avec la même dureté. Des postes leur ont été distribués avec une certaine générosité. Malusi Gigaba, qui avait tourné casaque dans la dernière ligne droite, perd son poste aux finances, mais est recyclé à la tête d’un ministère qu’il connaît, celui des affaires intérieures. Il y avait durci, lors de son précédent passage, la législation concernant les travailleurs étrangers. Il n’est pas impossible qu’il soit employé à la même tâche. Il avait cependant la sévérité sélective (notamment contre les talents venus d’Afrique), puisqu’il avait favorisé l’obtention express de la nationalité sud-africaine à certains des frères Gupta. On oublie cet épisode, au moins dans un premier temps, afin de privilégier « l’unité » et le « compromis » les deux concepts mis en avant par l’ANC pour convaincre de sa résurrection.

Etrange renaissance, toutefois, qui passe par le maintien aux affaires de responsables ayant perdu à peu près toute légitimité. Ou pire, comme Bathabile Dlamini, qui avait failli faire dérailler le système de paiement des allocations (17 millions de bénéficiaires dans le pays), puis n’a fourni que des réponses incohérentes pour justifier son obstination dans cette opération. Elle est recyclée à un poste à la présidence (en charge des femmes). Une façon de donner des gages à la Ligue des femmes de l’ANC, qu’elle dirige, et qui était l’un des piliers des pro-Zuma, et reste influente dans le parti.

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Autre bénéficiaire de cette distribution de bonbons, Maïté Nkoana-Mashabane, qui a été une ministre désastreuse à la tête de l’équivalent du ministère des affaires étrangères (appelé Direction des relations internationales et de la coopération, ou DIRCO). Elle n’est pas écartée pour autant. La voici nommée à un poste qui va être l’objet de mille attentions : le développement rural et la réforme agraire. Cyril Ramaphosa s’est engagé à mener une réforme de fond, avec des saisies sans compensation de certaines terres. Mais souhaite, dans le même temps, ne pas perturber le secteur de l’agroalimentaire, qui repose sur de grandes exploitations. Cette contradiction dans les termes est peut-être un piège subtil : condamnée à échouer, Maïté Nkoana Mashane pourra faire si besoin, office de fusible.

Elle est remplacée à la tête de DIRCO par une femme d’envergure, Lindiwe Sisulu, qui avait été un temps pressentie pour occuper le poste de vice-présidente. Cette fonction a finalement été confiée à David « DD » Mabuza, un pro-Zuma qui avait, le premier changé de bord, et qui a été élu vice-président de l’ANC. La position de vice président de la République ouvre l’éventualité d’une succession lorsque Cyril Ramaphosa quittera le pouvoir, mis il reste à déterminer si « DD » sera toujours présent, ce jour-là. Dans l’immédiat, il incarne opportunément la ligne de « l’unité » que le parti cherche à retrouver après s’être écartelé, afin d’arriver groupé aux élections d’avril 2019.

Un petit groupe de choc

Cyril Ramaphosa ne se contente pas d’entourer ses ennemis d’une chaude couverture de positions. Il a organisé autour de lui un petit groupe de choc pour pousser la politique qu’il compte mettre en œuvre. D’abord, aux finances, il fait revenir Nhlanhla Nene, qui avait été limogé brusquement de la direction de ce ministère en décembre 2015 par Jacob Zuma, essentiellement parce que cet homme respecté s’opposait frontalement aux visées de la famille Gupta et de ses alliés sur les finances publiques, et qu’il refusait en particulier de donner carte blanche à une excellente amie de M. Zuma, Dudu Myeni, qui était en train de ruiner la compagnie aérienne nationale, South African Airways. Il avait été alors remplacé par Des van Rooyen, en dépit de son absence notable de compétences et sa fréquentation assidue de la maison des Gupta, dans le quartier de Saxonwold, à Johannesburg, qui faisait alors office de présidence parallèle.

Lorsque Jacob Zuma avait dû, au bout de quelques jours se séparer de Des van Rooyen, il lui avait fallu, pour apaiser son propre parti, nommer à sa place par Parvin Gordhan, le héros des anti-Zuma, un « monsieur propre » qui jouit d’une excellente réputation. Lorsque ce dernier avait été limogé en mars 2017 – et remplacé par Malusi Gigaba –, la fin de l’ère Zuma avait commencé. M. Gordhan fait son retour dans le gouvernement, à la tête des sociétés nationales qui ont été ravagées pendant les années précédentes. Il va falloir les remettre en ordre, mais aussi gérer leur situation financière inquiétante. Et pour rassurer les futurs bailleurs, il est l’homme de la situation. Il a aussi la confiance de Cyril Ramaphosa.

Toujours dans le registre de la confiance, le chef de l’Etat a nommé Jeff Radebe, ex-ministre à la présidence en disgrâce de Jacob Zuma, à l’énergie, en remplacement d’un autre pro-Zuma rayé de la carte gouvernementale, David Mahlobo. Ce dernier semblait espérer, à toute force, faire passer un projet délirant de construction de centrales nucléaires. Ce projet est de toute évidence remisé au placard. Jeff Rabebe est aussi le beau-frère du nouveau chef de l’Etat. Il a joué un rôle important ces dernières semaines, dans la période de solidification du pouvoir Ramaphosa dans l’ANC. Il avait été la voix du nouveau chef lors du dernier Mining Indaba (salon minier annuel), il y a quelques semaines, alors que Mosebenzi Zwane était déjà privé de toute autorité.