Quelques instants avant de monter sur le « ring », c’est le moment crucial de tailler la « ligne de dos ». / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

C’est l’une des principales attractions du Salon de l’agriculture, à Paris : le concours des animaux. Créée en 1870, la compétition récompense « les meilleurs animaux reproducteurs français ». Dans la plupart des nombreuses catégories, les jurés examinent les caractéristiques des différents participants en fonction de critères liés à leur race. L’occasion pour les éleveurs de faire connaître leur exploitation et des races méconnues, mais aussi de faire des affaires.

Récit d’une journée au Salon à travers les portraits de neuf participants issus des espèces pouvant y participer : bovins, ovins, caprins, porcins, asins, équins, canins et, pour la première fois, félins.

Boul’ait BDB Impres, la belle endormie

Boul’ait BDB Impres, dite « Impres », 4 ans, vache holstein élevée chez Romain Boulet (Pas-de-Calais). / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Impres semble dormir malgré l’agitation du Salon de l’agriculture. L’animal participe au concours réservé aux vaches de race holstein, une race laitière, dans la catégorie « 2lactation ». Avec 340 bovins, Romain Boulet, jeune éleveur de 29 ans basé dans le Pas-de-Calais, produit un million de litres de lait par an, mais parvient seulement à se dégager un revenu inférieur au smic : « C’est ce que j’ai dit au président Macron quand il est venu samedi : c’est difficile. »

Cela ne l’empêche par de regarder son animal avec satisfaction. « Les critères esthétiques du concours sont aussi des critères de rentabilité », explique le jeune éleveur. La « ligne de dos », la taille de la cage thoracique, du bassin, ou la forme des pis sont autant de critères qui permettent de définir si la vache est une bonne laitière. Le concours est aussi l’occasion de « faire des affaires », ajoute Romain Boulet, comme négocier des saillies ou vendre des embryons. Des opportunités qui peuvent compenser l’investissement en temps que représente la venue au Salon.

Xaintrie Fière, la coquête

Xaintrie Fière, 8 ans, vache red holstein élevée chez Jean-Louis Lafon (Cantal). / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Jean-Louis Lafon est concentré : ce sont les derniers préparatifs avant le passage de sa vache dans le « ring ». Sa vache, c’est Xaintrie Fière, surnommée Fière. Elle est entre les mains du cousin de l’éleveur, Thierry Gauthier, venu spécialement pour le concours. Après lui avoir taillé la « ligne de dos », une fine crinière qui court de la tête à la queue, il passe un coup de laque afin de la faire briller. « C’est la troisième fois qu’elle participe au concours général », explique l’éleveur, basé dans le Cantal depuis 1998.

La vache, âgée de 8 ans, en est à sa cinquième lactation, ce qui signifie qu’elle a eu cinq veaux. « Elle a remporté des prix en Suisse, explique l’éleveur. C’est aussi là-bas que j’ai vendu sa fille, Imagine. » Le concours est notamment l’occasion de mettre en valeur les qualités génétiques d’une exploitation, de vendre des animaux ou même des embryons à d’autres éleveurs. Originaire du Cantal, la vache n’est pourtant pas la race la plus courante dans ce département. « Le conseil général soutient plus volontiers les éleveurs de salers pour venir au concours, mais c’est normal, c’est la race locale », conclut l’éleveur, fair-play.

Melba et Mélisse, les précieuses

Melba et Melis, 15 mois, cochons noirs de Bigorre, élevés par Eric Barbazan (Haute- Garonne). / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Eric Barbazan pose pour la photo de groupe sous le regard amusé de ses filles. Il n’a pas remporté de prix ce matin, mais il ramène tout de même une plaque caractéristique du concours général, qui le récompense, lui et ses deux porcs gascons, de leur participation. Les deux animaux sont des femelles, de race « noir de Bigorre » de 15 mois : Melba et Melisse. Robe noire, poil épais, oreilles longues et pattes arrières sont dans le canon.

« On ne cherche pas à développer la race outre mesure car c’est une AOP (appellation d’origine protégée) », explique l’éleveur, basé dans les Hautes-Pyrénées depuis une vingtaine d’années. Pour lui, le concours est principalement un investissement en termes de renommée. L’événement a un « impact médiatique » important pour la filière, ajoute l’éleveur, qui participe au concours général depuis quinze ans.

Nyagara, l’exception

Nyagara (noire), 1 an, chèvre des Pyrénées, élevée par Christophe Kuster, dans le Jura. / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Les deux chèvres font figure d’exception parmi les autres animaux : celles-ci, de race pyrénéenne, ne participent pas au concours général agricole. Melissa et Nyagara sont là « pour faire connaître leur race au public », explique Fanny Thuault, porte-parole de l’association La chèvre de race pyrénéenne. « C’est une race à faible diversité », renchérit l’ingénieure agronome : l’espèce ne compte que 4 200 individus. Une réalité récente. Au début du XXe siècle, « la race avait le monopole de la distribution de lait de chèvre sur Paris », explique l’ingénieure, cartes postales d’époque à l’appui.

Aujourd’hui, elle ne compte plus que 200 éleveurs, répartis principalement dans les Pyrénées et dans quelques autres régions de montagne. Mais Fanny Thuault se satisfait de la relative discrétion dont profitent les chèvres des Pyrénées : « Le fait de participer à des concours risquerait de standardiser la race, et de nuire à sa rusticité. »

Beroy de Ju Belloc, le sage

Beroy de Ju Bulloc, 7 ans, âne des Pyrénées, élevé par Pascal Sachot (Lot-et-Garonne). / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Beroy de Ju Belloc vient lui aussi des Pyrénées. Mais, contrairement aux idées reçues, cet âne n’est pas têtu. Malgré l’agitation qui précède son entrée dans le « ring », l’animal attend patiemment près de l’élève d’un lycée agricole qui en a la garde. « La principale qualité de ces ânes, c’est l’immobilité », explique Pascal Sachot, propriétaire de l’animal.

Ces ânes ont en effet pour vocation d’aider des agriculteurs au travail de la terre. Beroy, lui, est un « âne-école » : il aide à la formation des agriculteurs, à l’école nationale des ânes maraîchers, où enseigne Pascal Sachot. En cinq ans, la structure, basée à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), a formé 80 stagiaires, sur des sessions de trois semaines. « Le concours est surtout un moyen de faire connaître l’école, dit Pascal Sachot. Il y a une vraie alternative à l’agriculture motorisée. C’est juste dommage que Macron ne soit pas venu nous voir. »

17001 et 17019, incognito

17001, 1 an, mouton de race roussin, élevé par Loris Vallée, dans la Manche. / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

« Je vous préviens, ce ne sont pas mes moutons », explique Gilles Bovyn, éleveur basé à Erquy (Côtes-d’Armor) et membre de l’Oscar, l’Organisme de sélection des races de la Manche (Cotentin, Avranchin et Roussin). A ce titre, c’est lui qui prend soin des animaux et qui présente ces trois races aux visiteurs. Il élève des roussins, qui sont des moutons à viande, de taille moyenne. « C’est une race à faible effectif », précise Gilles Bovyn : 7 200 brebis sont recensées pour la race des roussins. « Le concours est justement une bonne occasion de faire connaître ces trois races », ajoute l’éleveur.

Everest des Métairies, le géant

Everest des Métairies, 4 ans, trait poitevin élevé par Sébastien Marciquet (Charentes). / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Sébastien Marciquet hésite une seconde. Pour pouvoir prendre en photo le cheval, il va falloir le retourner. Tous les animaux en box, ânes, bovins ou chevaux, ont en effet la tête placée à l’opposé des travées, pour éviter que le public ne les sollicite trop. Il retourne alors le jeune étalon et ses 708 kg. L’animal s’agite, mais Sébastien Marciquet parvient à le calmer. Pour lui aussi, c’est la « passion » qui l’a poussé à participer au concours. « Le fait même d’être arrivé à Paris est une réussite. »

En effet, pour toutes les races, les animaux qui veulent participer à la compétition sont présélectionnés par des jurys locaux, à l’échelle cantonale, départementale ou régionale. « Arriver ici, c’est la preuve qu’on a des belles bêtes », sourit l’éleveur, soudeur-métalier dans le civil, qui possède six chevaux et deux ânes. « Je les loue pour de l’attelage, lors d’événements, ou pour du maraîchage, mais c’est toujours moi qui les monte », conclut-il jalousement, avant de remettre son étalon en place.

Balie de l’Oyat des dunes, la reine mère

Balie de l’Oyat des Dunes, 12 ans (à droite), setter anglaise, élevée par Christophe Gourand (Vendée), et deux de ces petits. / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

La famille Gouraud est aux anges. Balie, fière setter anglaise, vient de remporter le prix de meilleur reproductrice aux côtés de ses petits, Falcone, Yago, Ippy et Pipper, déjà grands. La catégorie récompense à la fois la chienne et sa capacité à transmettre certaines caractéristiques de la race à sa descendance. C’est la deuxième victoire de la famille d’éleveurs. Pourtant, Christophe Gouraud avoue que le plus difficile, après ces succès, « c’est de se maintenir ». « C’est un gage de renommée et de qualité », ajoute l’éleveur alors que son épouse, ses enfants et deux de leurs amis amènent les chiens vers un endroit propice au portrait.

Avec 80 naissances par an, l’élevage profite largement des prix que remportent ces chiens, qui sont revendus soit pour de l’agrément ou des concours de beauté, soit pour leur instinct de chien d’arrêt. « Ce sont des chiens qui à la moindre odeur particulière s’arrêtent net, explique Sébastien Gouraud. C’est particulièrement approprié pour ceux qui chassent avec des rapaces, comme les faucons. » « Mais vous êtes aussi éleveur de faucons ? », demande alors un visiteur qui suivait la conversation. « Oui, mais ça, c’est pour le plaisir. »

Duke Didilly Doo de Burnside les Etards, le paisible

Duke Didilly Doo de Burnside les Etards, 10 ans, sacré de Birmanie élevé par Jack et Annie Niochaut, dans l’Eure. / ERIC GARAULT POUR "LE MONDE"

Duke n’a pas très envie d’être photographié. Il somnole un peu sur le studio improvisé en retrait du public, et miaule avec agacement quand on le manipule. « Il ne faut pas croire : ce sont des chats-chiens, ils vous suivent partout », s’amuse son éleveur, Jack Niochaut, basé à Angerville-la-Campagne (Eure). Le chat a remporté de nombreux prix, mais c’est sa première participation au concours général agricole, comme tous ses congénères félins. Une opportunité pour l’éleveur de faire connaître la race au grand public.

Il ne s’agit pas pour autant d’une activité professionnelle, comme c’est le cas pour les autres espèces. « En tant qu’éleveurs, on est enregistré comme professionnels, explique ce retraité de l’industrie automobile. On ne tire pas de revenus significatifs de cette activité, mais on cotise tout de même à la mutuelle des agriculteurs. »