Dans le nord du Cameroun, un « Chèque santé » pour réduire la mortalité maternelle
Dans le nord du Cameroun, un « Chèque santé » pour réduire la mortalité maternelle
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Depuis 2015, le ministère de la santé incite les femmes à ne plus accoucher chez elles.
Fadimatou Mamu observe tendrement son petit garçon de quatre mois blotti contre sa poitrine. Puis, elle raconte avec « peine » les difficultés vécues lors de ses précédentes grossesses. A 37 ans, elle est tombée enceinte à 12 reprises. L’une s’est conclue par une fausse couche et trois de ses bébés sont morts à la naissance. « Il me reste six filles et deux garçons », énumère-t-elle. Fadimatou l’avoue à voix basse et le visage triste : ses bébés sont morts « par négligence ».
« Je ne faisais pas de visite prénatale. J’accouchais toute seule à la maison et je me faisais parfois aider par la mère de mon mari », raconte la jeune femme, assise dans la cour du centre de santé intégré (CSI) de Balaza, un village situé à 17 km de Maroua, capitale régionale de l’Extrême-Nord du Cameroun. Durant sa dernière grossesse, Fadimatou a été très malade. Craignant de faire une autre fausse couche, elle s’est rendue au centre.
6 000 femmes enceintes meurent chaque année
Liman Abbo, chef du CSI de Balaza, qui sillonne les lieux de soins depuis 31 ans, l’a accueillie et lui a parlé du « Chèque santé ». Ce projet, instauré en 2015 par le ministère de la santé publique pour une phase pilote pour trois ans, a pour objectif de réduire la mortalité maternelle et infantile dans la partie septentrionale (régions de l’Extrême-Nord, du Nord et de l’Adamaoua) du pays.
Selon les statistiques, environ 6 000 femmes enceintes meurent chaque année en donnant la vie au Cameroun. Des données qui n’incluent pas tous les décès enregistrés dans les maisons.
La partie septentrionale est la zone la plus touchée. D’après une enquête de l’Institut national de la statistique publiée en 2015, seulement 25,2 % de femmes de l’Extrême-Nord ont accouché dans un espace médicalisé, et 34 % dans le Nord, contre 61,3 % au niveau national.
« J’ai dit à Fadimatou ce que je dis à toutes les femmes enceintes ici : “Si tu veux sauver ta vie et celle de ton enfant, il faut te faire soigner dans un hôpital”, poursuit Liman Abbo. Fadimatou, séduite, a acheté son chèque.
Le projet « Chèque santé » finance partiellement les soins de santé maternelle et néonatale. Les chèques sont mis à la disposition des femmes pour leur donner accès, moyennant la somme de 6 000 FCFA (9,1 euros), à des prestations « de qualité » : prise en charge des pathologies qui ont un impact sur l’évolution de la grossesse (paludisme, anémie, infections…), quatre consultations prénatales, une échographie, un accouchement et la césarienne si les complications surviennent, ainsi qu’un suivi post-natal pour la mère et son bébé pendant 42 jours.
Le coût réel des prestations est remboursé aux centres de santé grâce à un fonds alimenté par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique) et la Banque de développement allemande. « Avant, les femmes dépensaient au moins 10 000 FCFA pour l’accouchement. Si la situation se compliquait avec une césarienne, cela pouvait monter à plus de 50 000 FCFA, selon les hôpitaux. Aujourd’hui, grâce au projet Chèque santé, les coûts ont drastiquement réduit », souligne Jean Claude Napani, responsable de la mobilisation sociale au sein de l’antenne de l’Extrême-Nord.
30 000 chèques vendus
Entre le 23 juin 2015 et le 31 décembre 2017, près de 30 000 chèques ont été vendus dans cette région. Pour toucher un maximum de personnes, le projet forme des agents communautaires qui parcourent les villages. Des conducteurs de voitures, motos et tricycles en service dans les zones reculées, ont été mobilisés pour conduire ces femmes sur le point d’accoucher dans les centres de santé, moyennant une rémunération. Des formations sont réalisées auprès des imams, chefs de villages, maires et autorités administratives, pour les inciter à encourager les récalcitrantes.
« On s’est rendu compte qu’il y avait des femmes qui achetaient les chèques, mais préféraient accoucher par habitude, à la maison, assistées par des matrones, relate Jean Claude Napani. On a donc décidé de former ces accoucheuses traditionnelles au danger de l’accouchement non assisté par un personnel de santé ».
Asta Fadme est l’une des 150 matrones formées dans l’Extrême-Nord. Au village Diguir Sali, cette dame, qui reçoit dans une petite pièce en dur au toit de pailles, est une personnalité. « J’ai mis au monde presque tous les enfants de ce village », sourit-elle. C’était avant que le projet « Chèque santé » n’arrive.
Désormais, pour chaque femme qu’Asta et ses collègues accompagnent dans une formation à l’accouchement, elles gagnent 3 000 FCFA. Une « motivation » qui a permis à Asta de construire sa case en dur et d’abandonner la route des champs.
« Avant, je recevais des morceaux de savon, un peu de mil, des remerciements. Maintenant, je gagne de l’argent », dit-elle, sur la route de chez Madima Ahmadou, timide jeune fille de 19 ans qui tient un bébé joufflu entre ses bras. « Son beau-père ne voulait pas acheter de chèque. Je lui ai dit : “Si l’accouchement se complique, ne venez pas chez moi me demander de vous aider.” Il l’a acheté et sa belle-fille a accouché par césarienne, dans un hôpital. »
Lourdeurs administratives
Trois ans après son lancement, difficile toutefois de savoir si le projet « Chèque santé » a réduit la mortalité maternelle dans la région. « On ne peut pas comparer car il faudrait avoir les données des décès en communauté [dans les maisons]. Ce suivi n’a pas été fait. Mais, le nombre d’accouchement assisté a augmenté de façon exponentielle. Certains centres de santé qui avaient à peine cinq accouchements par mois, se sont retrouvés à gérer 50, 75, voire une centaine d’accouchements. Certaines prestations comme les consultations postnatales, qui n’existaient pas du tout avant le Chèque santé, existent aujourd’hui », précise le docteur Carine Nga Edoa, médecin-conseil à l’antenne régionale de l’Extrême-nord.
Au CSI de Balaza, le nombre d’accouchements a été multiplié par « plus de 100 » en trois ans. Toutefois, le personnel médical s’inquiète. Du fait des lourdeurs administratives, les factures sont soldées avec retard. « Nous prenons en charge gratuitement les femmes enceintes, dès qu’elles paient des chèques. Nos pharmacies se vident, car des médicaments et autres outils sont utilisés », se plaint Liman Abbo, chef du centre.
Du côté des femmes, l’inquiétude se concentre sur la pérennité du projet. « Je n’aimerais plus accoucher à la maison car il y a trop de douleurs. La matrone oint ses mains d’huile de karité et tente de tirer l’enfant de ton ventre. Parfois, on utilise un morceau de bois pour pousser. A l’hôpital, ça ne fait pas mal. J’espère qu’on aura toujours le chèque », confie Rachel Aïssa. A 34 ans, elle est mère de cinq enfants dont quatre nés à la maison. Seul Oumarou, son dernier fils âgé de neuf mois, est « né sans douleurs grâce au chèque, dans un hôpital ».